Après avoir insufflé à la comédie romantique une touche hystérique et bipolaire fort rafraichissante dans Happiness Therapy, David O.Russel remet le couvert avec American Hustle (« traduit » sous le titre American Bluff en français). Dans ce film d’arnaqueurs, le cinéaste fait montre d’une énergie comique bienvenue, bien qu’il ne fasse pas preuve de plus d’audace que dans son précédent long-métrage.
Irving Rosenfeld (Christian Bale) et Sidney Prosser (Amy Adams) forment un couple d’escrocs prospérant avec la vente de faux tableaux de maîtres. Irving est par ailleurs toujours marié avec sa femme Rosalyn, menant ainsi une double vie. Tout va pour le mieux jusqu’à ce que ce duo gagnant soit pris la main dans le sac par un agent du F.B.I, Richie DiMaso (Bradley Cooper). Celui-ci va leur proposer un deal : ils échapperont à la prison s’ils l’aident à piéger le maire d’Atlantic City, Carmine Polito (Jeremy Renner). DiMaso se joint donc au duo pour monter une arnaque visant à prendre le politicien en flagrant délit de corruption.
Le personnage de DiMaso n’a rien d’un héros à la Woodward et Berstein. Nullement motivé par des intentions citoyennes, c’est la quête du prestige qui l’anime. Face à lui, le maire Polito, auquel Jeremy Renner prête ses traits mélancoliques, fait d’ailleurs figure de bon gars, désireux de faire marcher l’économie de sa ville quitte à employer des moyens détournés. Animé par une fibre sociale, il est bien loin de l’archétype du politicien véreux. Chemin faisant, Irving se pique d’amitié pour l’homme qu’il est censé piéger, tandis que Sidney s’éloigne de lui pour se rapprocher de plus en plus de DiMaso.
Très loin de s’engager sur la piste d’une édifiante fable politique, David O.Russel oriente d’emblée son film vers la comédie et ceci, dès la première séquence, où un Christian Bale transformé, bedonnant, délaissant enfin son rôle tout en sécheresse et en sérieux de Batman, s’affaire à s’apposer de faux cheveux pour masquer sa calvitie. Face à lui, Bradley Cooper affronte également des problèmes capillaires, s’infligeant le port de bigoudis pour entretenir ses bouclettes, détail révélateur de la vanité de son personnage.
Cette tendance au travestissement, au déguisement, au camouflage des tares physiques est à l’image de toutes les actions entreprises dans le film. C’est leur talent à « se faire passer pour » qui permet aux trois héros de monter leur coups et de réussir. C’est aussi leur drame. Sidney se présente sous l’identité d’une aristocrate anglaise, adoptant même l’accent britannique pour flouer son monde. Irving doit cacher ses liens avec le F.B.I à sa femme naïve. DiMaso lui-même, derrière sa dégaine prétentieuse, dissimule une vie domestique sordide dans un appartement miteux. Le film montre ainsi trois personnages forcés à se débattre pour maintenir leurs secrets hors du champ de vision des autres protagonistes, aussi bien amis qu’ennemis. C’est pourquoi le gag des coiffures est bien trouvé : il permet de symboliser dans un détail dérisoire de l’apparence physique le drame des protagonistes. Leur vie est à l’image de leurs coupes de cheveux : beaucoup d’efforts pour cacher la misère.
American Hustle pourrait se complaire dans l’exhibition de postiches et costumes visant à faire revivre une époque (ici, les années 70). Or il a l’intelligence de convertir ce danger en allié pour en faire une source de drôlerie. Il faut à ce titre signaler la qualité d’une bande originale furieusement 70’s, allant jusqu’à exhumer la chanson de générique d’un vieux James Bond, Live and Let Die, signée Paul McCartney, utilisée avec une ironie réjouissante.
Mais le meilleur atout comique réside en Jennifer Lawrence dans le rôle de la femme délaissée d’Irving : Rosalyn. Si le personnage reste anecdotique pendant la première partie du récit, c’est pour être mieux propulsée, telle une torpille comique bousculant tout sur son passage. Elle mettra gravement en danger les plans du trio d’arnaqueurs. Contrairement à son mari, elle ne ment jamais, se montre constamment sous un jour authentique, et commet gaffes sur gaffes avec une merveilleuse ingénuité. Au-delà de l’intérêt qu’apporte le personnage au récit, Lawrence qui faisait déjà sortir de ses gonds la rom-com Happiness Therapy, déploie une formidable énergie. Sa façon d’habiter le cadre par ses gestes et mimiques est telle qu’elle offre au film ses meilleurs moments. Comme dans son précédent opus, David O. Russel démontre ici son goût pour les scènes d’hystérie où l’actrice se révèle sa meilleure complice.
Il est difficile de ne pas penser à Scorsese en regardant American Hustle tant le film use de motifs de mise en scène déjà vus chez l’auteur des Affranchis. On aura ainsi droit à des travellings virtuoses, à une rapidité dans le découpage qui fait mouche, ou encore à des scènes où les personnages évoluent au ralenti sur des chansons rock. La référence est même si appuyée que Robert De Niro apparaît le temps d’une scène dans le rôle d’un mafieux menaçant et plein de prestance, d’une autre trempe que les pieds nickelés qui lui font face. Mais le clin d’œil n’échappe pas à la facilité. En somme, les clowns d’American Hustle font décidément plus penser au bouffon Jordan Belfort du Loup de Wall Street qu’aux chiens fous de Mean Street ou Casino qui s’enfonçaient dans des spirales de violence. La séquence avec De Niro pourrait s’achever en carnage, or le film reste fidèle à sa ligne et fait regretter, pour le coup, qu’un retournement comique vienne désamorcer le suspense. Le mafieux campé par l’acteur fétiche de Scorsese se trouve ainsi relégué au simple rôle de citation plaisante.
Dans cette intrigue où tout le monde trompe tout le monde, les reflets mordorés de la photographie très soignée contribuent autant à ressusciter le glamour clinquant de l’époque dépeinte qu’à nous rappeler que le jaune est la couleur des cocus. A l’image du dernier opus scorsesien, le film d’O. Russel fait toujours le choix de la bouffonnerie et délaisse la piste tragique. Aussi obtient-il plus certainement l’adhésion du public par son habileté comique qu’il ne vise les cimes de la tragédie. La déchéance que connaîtront certains des protagonistes se fera sans grandeur. Pourtant, dans le cas de l’un d’eux (impossible de révéler lequel sans casser le suspense), elle aurait gagné à être moins vite expédiée. Mais le réalisateur choisit plutôt de faire durer les scènes de vaudeville. Aussi le spectacle, bien que plaisant, laisse-il un léger goût d’anecdotique.
American Bluff, sortie le 5 février 2014
Note: