Les jouets Lego font depuis longtemps le bonheur de beaucoup d’enfants, et aussi de quelques adultes. Ils n’auraient pas connu d’existence cinématographique, ici sous la houlette de Phil Lord et Chris Pratt, que personne ne s’en serait porté plus mal. En leur donnant pourtant vie à l’écran, les studios Warner Bros s’inscrivent dans une fâcheuse tendance actuelle, à savoir : l’adaptation ou la déclinaison pour le cinéma, d’un matériau non original. Après l’adaptation de multiples best-sellers, comics ou séries télé, après leurs innombrables suites, prequel, spin-off et autres re-boot, le manque d’imagination est tel que le dévolu a été jeté sur des marques. Côté jouets, G.I Joe et Transformers sont déjà passés par là. Les Playmobil et les Meccano ne devraient plus manquer longtemps à l’appel, avant que, peut-être, les gobelets Starbucks et autres étagères Ikea ne connaissent à leur tour la gloire cinématographique.
C’est connu, les produits dérivés ont vu le jour avec la saga Star Wars. Il est bien rare à présent qu’un blockbuster ne voit ses héros déclinés en figurines et autres peluches destinées à occuper aussi bien les rayons des magasins qu’à agrémenter les menus des fast-food. Le principe est ici inversé : c’est le film qui devient le produit dérivé du jouet, et se trouve donc ravalé au rang de long spot publicitaire. Avec La Grande aventure Lego et ses pareils, la salle du cinéma, aussi bien prometteuse d’ailleurs lointains que miroir de la vie, n’invite plus à s’identifier qu’à des figurines en plastique, et n’ouvre pour ainsi dire sur rien. Le spectateur se voit seulement enjoint à prendre le chemin du magasin de jouet en sortant de la salle. Soit le spectacle d’une pop culture ne se nourrissant plus que d’elle-même, fonctionnant par la seule auto-référence et n’ayant rien à dire, rien à montrer que ses propres produits.
Tout cela serait à la limite pardonnable si le film avait la décence d’être drôle et divertissant. Il se révèle surtout laid et pénible de par son hystérie continuelle. Après tout, avec les trois Toy Story, Pixar donnait également vie à des jouets, bien évidemment appelés à connaître le succès aussi bien dans les cinémas que dans les rayons des supermarchés. Mais dans ces films, l’anthropomorphisme fonctionnait bien et les récits étaient suffisamment forts, chaque héros doté d’une profondeur suffisante, pour maintenir un vif intérêt. Rien de tout ça dans cette Grande aventure Lego, où tout n’est que clichés, déjà-vu, et où les personnages, ne s’exprimant que par répliques indigentes, ne peuvent emporter la sympathie.
Le film fonctionne en épousant la forme du jeu. S’il donne en effet le sentiment de voir un gamin s’agiter au-dessus de son jouet pendant une heure quarante, le spectacle n’en est pas plus intéressant pour autant. La principale impression produite est celle d’un chaos généralisé. Les univers s’entrechoquent, du western à la science-fiction, en passant par le vaisseau pirate. Et les personnages d’Harry Potter peuvent ici croiser ceux du Seigneur des anneaux. L’idée n’est pas mauvaise en théorie, elle pourrait même se révéler fructueuse et offrir matière à situations intéressantes, voire jouissives. Las : puisqu’aucune de ces figurines ne prend d’épaisseur, tous ces univers se succèdent et s’entremêlent indifféremment sous nos yeux, sans parvenir à tromper l’ennui et ne produisant qu’un effet de fouillis. Pas un gag ne décroche un sourire, les scénaristes semblant croire que faire surgir une figure connue suffise à déclencher l’hilarité (indifféremment : Batman, Superman… qu’importe au fond ?). Ce comique référentiel, si propre à l’époque post-moderne et à sa culture « geek » fonctionnant en circuit fermé, aura rarement produit résultat aussi pauvre. Chaque référence à la culture populaire ici convoquée passe dès lors pour une entreprise de drague du spectateur, qui a le sentiment désagréable qu’on lui lance des cacahuètes. La volonté de ne faire s’exprimer les personnages que dans un langage supposé fun et voulu actuel produit le même effet.
L’histoire, quant à elle fort banale, prend cadre dans un univers vaguement totalitaire. Chaque être y est amené à agir et à consommer en se soumettant joyeusement aux diktats de la publicité et de la télévision, tout cela sous le pouvoir despotique du dénommé Lord Business. C’est ainsi que tout un chacun regarde les mêmes programmes télévisés et écoute la même musique. Le héros, un ouvrier de chantier nommé Emmet, sans la moindre capacité de distance ou de réflexion se trouve propulsé malgré lui à la tête d’une rébellion préparée par quelques dissidents. Ils devront faire chuter Lord Business et sauver le monde. Cette trame à la 1984 n’a rien de neuf et le regard ironique sur ce scénario type Matrix ne le sauve pas du déjà-vu. Le film se donne alors comme une dénonciation de la soumission aveugle aux règles et de la consommation sans réflexion. Ainsi, certains se contenteraient de suivre le mode d’emploi du jouet, tandis que d’autres laisseraient libre cours à leur imagination pour assembler les briques comme bon leur semble. Appuyant lourdement leur message par une mise en abyme finale aussi bâclée que prévisible, les réalisateurs affirment livrer un éloge de la créativité et de l’originalité. Face à un clip aussi ouvertement promotionnel, difficile de savoir si cela relève d’une naïveté complète ou bien d’un cynisme sans borne.
La grande aventure Lego, en salles le 19 février 2014
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