Les deux premières séquences du film posent manifestement l’hypothèse de deux hommes qui vont au travail. Richard Phillips quitte son foyer américain pour prendre son poste de Capitaine d’un cargo naviguant au large des côtes somaliennes. Pendant ce temps, dans un petit village de Somalie, des chefs de guerre envoient à la mer une bande de flibustiers pour rançonner les navires marchands qui voguent à proximité. Parmi eux, Muse, bien décidé à faire ses preuves et à justifier sa place dans la hiérarchie.
C’est ici la veine semi-documentaire que met en œuvre Paul Greengrass, plus proche de Vol 93 que de la saga Jason Bourne, mais avec les mêmes moyens – caméra très mobile qui donne l’impression de capturer des moments volés de vérité -, absence totale d’accompagnement musical, interprétation naturaliste. Ce procédé ultra immersif autorise des moments de tension extrême qui clouent littéralement le spectateur à son siège. La première poursuite entre le porte-conteneurs et les pirates ainsi que la scène de l’abordage sont de purs modèles de découpage, très au-dessus de la bouillie illisible en shaky cam que nous sert habituellement le réalisateur et qui était devenu sa marque de fabrique, souvent en dépit de tout bon sens de la grammaire cinématographique.
La première partie est une réussite totale, au plus proche de l’humain et des peurs de simples travailleurs du commerce maritime face à une situation qui les dépasse et pour laquelle ils ne sont que très peu préparés (tenter de repousser l’assaut avec des lances à incendie, puis se cacher). Le film évite en outre tout manichéisme en caractérisant a minima à la fois les pirates et les otages, afin de ne pas tomber dans la simplification de deux blocs que tout opposerait.
Mais Capitaine Phillips abandonne dans son sillage ce postulat de base pour se diriger dans une seconde partie vers la tentation du spectaculaire, avec l’intervention de l’US Navy et du SEAL, son déploiement de gros moyens, porte-avions, drones, militaires bodybuildés et surentraînés… On serait tentés de suspecter le film de sous-tendre un message post 11 septembre revanchard et à la gloire de l’Amérique triomphante. Heureusement, Paul Greengrass déjoue cet écueil. « Not Al-Qaïda », ne cesse de répéter Muse aux négociateurs. Il ne faut pas se tromper de mobile, les pirates sont des Somaliens affamés, aux ordres de leur patron, pas des fanatiques religieux.
Il faut dire aussi que Tom Hanks est absolument extraordinaire dans le rôle de Richard Phillips. L’acteur sait faire la preuve qu’avec un personnage solide et bien dirigé, il est l’un des meilleurs de sa génération, jamais dans la démonstration, mais capable de véhiculer une émotion extraordinaire. Si le film n’exploite pas totalement la portée mythologique de la mer, le récit insiste tout de même sur sa symbolique initiatique et matricielle. Rich Phillips doit accepter sa propre mort pour renaître à nouveau et la scène finale est de ce point de vue absolument bouleversante, à la fois dans cette émotion qui succède à une chute de tension extrême, mais aussi parce que l’acteur joue littéralement le nourrisson qui vient à la vie, incapable presque de marcher et de parler, sanglotant comme un bébé.
Capitaine Phillips s’impose ainsi in fine comme une grande aventure humaine, une quête intime où le but est la connaissance de soi et de ce qui importe dans la vie, quand on pense avoir tout perdu.
Capitaine Phillips – Disponible en dvd et Blu Ray (Sony Pictures Entertainment)
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