Le premier album solo de Damon Albarn n’est pas vraiment son premier. En 2012, l’ancien leader de Blur (dont on attend toujours le fameux nouvel album, véritable arlésienne depuis une décennie) avait déjà livré Dr Dee, opéra mou du genou et ennuyeux. Avec Everyday Robots, il renoue avec l’esprit intimiste de son précédent opus au service d’une musique qui emprunte beaucoup au downtempo, voire au trip-hop. Cet album fonctionne donc comme l’anti-thèse de Gorillaz, projet principal de Mr. Albarn depuis la fin de Blur. Des mélodies enjouées, décalées et intensément pop, carrefour d’influences diverses (le hip hop, la soul, le funk, etc.), dont Plastic Beach en 2010 avait été l’apothéose, on est transporté dans un monde au ralenti (l’essence du downtempo, dépassant rarement les 90 bpm), fait de boucles infinies et surtout terriblement triste, jusqu’à en devenir déprimant. Finalement, la musique de cet album se met au diapason de son titre et des paroles de la chanson éponyme. Elle est le reflet de cette société sans affect et sans soubresaut que dénonce l’auteur, musique figée dans une léthargie qui lui est fatale, enfermée dans une routine que répètent à l’infini les mouvements de ses citoyens. « Nous sommes des robots de tous les jours » répète plusieurs fois Albarn dans la première chanson et, malgré la voix si particulière et charmante du bonhomme, toutes les instrumentations de Everyday Robots sont elles-mêmes déshumanisées, fixées dans un état de répétition sans fin, à l’aide de samples, de beat électroniques et de sonorités synthétiques. L’interlude « Seven High » d’à peine 1 minute n’est rien d’autre qu’une boucle de piano répétée plusieurs fois, agrémentée d’un background quasi imperceptible. On comprend donc le projet de l’artiste, accordé fond et forme et c’est d’autant plus louable que le tout est très joli. Les compositions qui parsèment l’album sont toutes belles, bien mixées : il n’y a pas un débordement. C’est bien ficelé, bien programmé (tiens, quand on parlait de robots). Quand les chansons passent, au fil de l’écoute, on éprouve un certain plaisir devant ces mélodies qui jamais n’irriteront l’auditeur. Avec tout ça, on devrait donc avoir un très bon album, un grand cru de 2014.
Sauf que, passé le plaisir du début, l’album s’oublie très vite. À vrai dire, il est difficile de retenir un morceau parmi les douze qui le composent, ceux d’ouverture et de fermeture mis à part : eux sont de très bonne facture. C’est là tout le paradoxe d’un compositeur comme Damon Albarn réputé pour son songwriting de haute volée, capable de pondre des tubes pop traversant les âge, Girls & Boys ou encore Feel Good Inc., des morceaux au lyrisme décadent, To The End, mais aussi des titres complètement frappés et inclassables comme Dare. Il peut donc parfaitement imprégner nos mémoires de ses compositions, comme toute grande pointure de la musique sait le faire. Et c’est bien ça qui dérange avec Everyday Robots, qui amorce certes un virage dans la musique de son géniteur, mais qui sombre parfois dans l’anodin. Les chansons sont de petits objets sobres et beaux à écouter, mais n’ont rien de diamants. Damon Albarn a pondu du toc, bien produit, mais trop lisse. Encore une fois : seules les chansons posées en début et en fin d’album sont de vraies réussites. Elles forment le merveilleux emballage d’un cadeau bas de gamme, acheté à la dernière minute et forcément décevant. Beauté de surface, fond anecdotique et parfois même ennuyeux, c’est finalement ce qui résume le mieux la nouvelle production de l’homme derrière Gorillaz.
Autant Everyday Robots est un leurre parce qu’elle met d’entrée la barre trop haut, elle est ce que n’arriveront pas à être le reste des morceaux de l’album, une ballade downtempo angoissée, au rythme lancinant et surtout pleine d’émotion ; autant Heavy Seas Of Love, avec le grand Brian Eno, a le défaut de se retrouver en bout de course, si bien que, devant la monotonie de qui se trouve avant, on peut jeter rapidement l’affaire et ne jamais y arriver. Pourtant, avec son ton joyeux, presque festif, on ressent littéralement les vagues d’amour scandées par Albarn et l’apôtre de l’art pop et de l’ambient. La chanson lorgne même vers la world music de Gorillaz (l’aspect déjanté en moins), avec ses chœurs et ses percussions agitées en refrain. Une note positive en totale contradiction avec le reste, très morne et souvent plat. Damon Albarn est-il seulement un grand compositeur de chansons pop ? Le morceau éponyme était pourtant une preuve, éphémère, du contraire et à certains détours de l’album, on trouve quelques saillies qui empêchent le tout de sombrer. Mr Tembo était l’autre tube de l’album, contenant lui aussi des chœurs et se démarquant grâce à un ukulélé dansant, mais le morceau ne décolle vraiment jamais et reste une sucrerie de plus dont on peut se passer. You & Me fait office de clone ingrat de Everyday Robots, s’étirant trop sur la longueur malgré une belle superposition entre un beat robotique au ralenti et une mélodie à la guitare acoustique. C’est hélas seulement dans son deuxième segment, produisant une rupture de ton avec le début du morceau, qu’il devient intéressant. Et Hollow Ponds, qui lui succède en reprend le même principe combinatoire, entre sonorités mécanico-électronique et acoustique, traduisant tristement l’homogénéité monotone de tout l’opus.
Il ne s’agit donc pas d’un profond échec. L’album s’écoute quand même, plutôt bien, sans véritable gène. Mais rien – ou si peu – ne marque l’auditeur, ce qui offre une oeuvre mi figue-mi raisin. On attendra par conséquent avec d’avantage d’enthousiasme un nouvel album de Gorillaz (plongé dans un hiatus indéterminé), entité qui n’avait cessé de nous surprendre sortie après sortie, pour aboutir à un Plastic Beach festif, hétérogène dans son brassage des genres et sa synthèse des travaux précédents (albums et remix). À moins que ce ne soit avec l’arlésienne Blur qui semble être emprisonnée dans son processus de re-formation live répétée continuellement depuis plus de dix ans déjà, si bien qu’on se demande si le groupe n’est pas la vache à lait de ses membres qui la réactivent pour payer des dettes ou autres impôts. Si Damon Albarn revient avec un nouvel album solo, on lui souhaite de repartir des belles idées véhiculées par le premier et le dernier titre de Everyday Robots, et surtout de retrouver le sourire, car son « premier » effort a une forte tendance à nous déprimer.
Damon Albarn – Everyday Robots
Note: