Hypothèse : et si le festival Primavera Sound à Barcelone avait atteint un seuil de saturation qui fait de l’expérience du festivalier non plus un plaisir – se gaver au delà de la satiété du meilleur de la musique indé de l’année qui précède et de celle qui vient – mais une épreuve qui s’apparente d’avantage à Koh Lanta ? Et si le rendez-vous incontournable catalan du dernier week-end de mai n’était-il pas victime de son succès, affichant des chiffres délirants, que ce soit en termes de fréquentation publique – qui est passée en 4 ans de 120 000 à 190 000 entrées -, que du nombre de scènes et d’artistes programmés.

On s’est posé ces questions-là le premier soir du festival, au milieu de la foule immense qui s’était amassée devant la scène principale pour voir la tête d’affiche la plus attendue – concert unique en Espagne – cette année : les Canadiens d’Arcade Fire. Non pas qu’on aime particulièrement le combo de Win Butler et Régine Chassagne, mais on voulait tout de même vérifier de visu si la machine à buzz que produit le groupe était justifiée. À vrai dire, on n’a pas vu grand chose au sein de cette marée humaine, si ce n’est un système d’éclairage et de miroirs mobiles censés créer une sensation d’intimité – pour les musiciens sur scène, sans doute mais concernant le public, question intimité, il faudra repasser ! – et une gesticulation permanente qui ne permet pas de jouer ou de chanter juste, mais dans une approximation un peu gênante. Il ne suffit pas d’aller enregistrer en Jamaïque pour en ramener des rythmes chaloupés car le déhanchement façon Win Butler a du gras au bide et les semelles de plomb. Pas de quoi nous dissuader que le statut actuel d’Arcade Fire n’est qu’usurpation.

Qui peut croire encore qu’Arcade Fire évolue dans la sphère indé alors qu’il est devenu un groupe de stades – sans le talent, ni aucune notion de justesse et de précision -, gros mot jadis attribué à U2 auquel les Canadiens ont chipé toutes les trouvailles visuelles et scénographiques – l’identité noir et blanc d’Anton Corbijn pour les clips, les têtes en papier mâché de Zoo Tv période 93, la veste fluo, la B stage…-. Qui peut moquer les hymnes de Bono quand Wake Up n’est rien d’autre qu’un refrain à faire beugler la multitude façon supporters du PSG. Soyons logiques… On quitte ce concert d’Arcade Fire au bout d’une demi-heure un peu fâchés, tant pis pour Moderat et Metronomy curieusement programmés très tard dans la soirée. On craint que les jolies compositions de leur dernier opus n’ait eu un effet dormitif à trois heures du mat’…

Heureusement, la soirée avait mieux commencé avec The Ex, les néerlandais légendaires qui avec plus de 33 ans d’existence, 25 albums et plus de 1800 concerts à leur actif, affichent toujours une santé et une forme insolantes. The Ex produit un mélange de fusion, de rock et de jazz assez explosif et délivre une performance scénique qui restera l’une des meilleures de ce week-end catalan. La nuit aurait mieux convenu à la beauté noire des chansons tristes de Majical Cloudz que cette lumière de fin d’après-midi sous laquelle les Montréalais ont joué. Less is more, avec seulement la voix intense et profonde de Devon Welsh et le clavier de Matthew Otto, le duo emplit l’espace d’une sorte de blues du 21ème siècle, assez proche d’un James Blake dans l’effet de sidération qu’il produit sur l’auditeur et les états mentaux que leur musique peut procurer. Plus tard dans la soirée et la prestation eût été parfaite.

Beaucoup de monde devant la scène ATP pour le set de Neutral Milk Hotel, annoncés il y a un an tout juste lors de la précédente édition du festival. Si le groupe fait l’objet d’un culte nostalgique auprès des adeptes de neo folk et des lecteurs de Pitchfork (qui a classé leur In the aeroplane over the sea quatrième meilleur album des années 90), on était loin de se douter que les vingt ans qui nous séparent de leur disparition de la circulation avait provoqué une telle attente et que le noyau de fans était si conséquent. C’est bien simple, dès les premières notes de The king of carrot flowers Pt 1 que Jeff Mangum joue seul sur scène, le public s’époumone en reprenant en cœur les paroles de tous les morceaux, tandis que le groupe de barbus prend manifestement sur scène beaucoup de plaisir à ce moment de communion festivalière. Et puis ce n’est pas tous les quatre matins qu’on a l’occasion d’entendre jouer de la scie musicale… !

Direction la scène Heineken pour entendre le concert de Queens of the stone age, qui délivre une usine à tube assez impressionnante pendant une heure vingt. No one knows, My God is the sun, Burn the Witch, Little sister, Make it Wit Chu… Josh Homme et les siens jouent avec toute l’efficacité que leur autorise leur répertoire, un rock direct et sans fioriture, qui produit un effet de rouleau compresseur irrésistible mais dénué de gras. Le groupe ne coure à aucun moment après une caution indie qui lui conviendrait pourtant davantage que l’orchestre de baltringues dont nous parlions plus haut. Mais ça, c’est une autre histoire.

Note: ★★★☆☆

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