Tree, et Chocolate Factory à la monnaie de Paris du 25 octobre au 4 janvier 2015

Tout le monde est au courant et tout le monde à son opinion là-dessus : dans la nuit du 17 au 18 octobre, la sculpture gonflable Tree de Paul McCarthy a été vandalisée, dégonflée, après que la veille l’artiste lui-même ait été agressé, frappé au visage par un inconnu ayant ensuite immédiatement pris la fuite. Beaucoup se réjouissent de cet acte scandaleux. Pour beaucoup, le milieu de l’art a eu ce qu’il méritait. À vouloir exposer son capitalisme outrancier sur la place publique, il prend des risques, il provoque et ce dégonflage est donc, pour beaucoup, un geste iconoclaste salvateur, mettant le monde de l’art contemporain face à ce qu’il est devenu. Grave erreur.

Si le terme de fascisme est régulièrement galvaudé – en tout cas employé à tort et à travers -, l’action qui consiste à détruire quelque chose parce que cette chose ne nous plaît pas, parce qu’elle nous choque d’une manière ou d’une autre sans pour autant nous atteindre et nous concerner directement, a bien quelque chose d’un acte fasciste. Et qu’on aime ou non Paul McCarthy, il est grave de se réjouir d’un tel geste. Dégonfler Tree n’est pas une résistance. L’art peut toujours se regarder en gardant hors du champ ses déboires financiers (bien réels, mais là n’est pas la question) et si l’on regarde bien cette grande chose verte gonflable, on y voit beaucoup de choses, beaucoup de choses autres que le prix qu’elle a coûté et l’argent qu’elle a rapporté ou rapportera.

Premièrement, son emplacement, la place Vendôme. Centre quasi mondial et symbolique du luxe, au milieu duquel trône la colonne Vendôme, monument phallique parmi tant d’autres. Le phallus se voit donc obligé de côtoyer l’anus, le plug anal, qui s’attire immédiatement les foudres de certains radicaux, choqués par l’apparition d’un objet suggérant une partie du corps et une pratique constamment niée, refoulée, tandis que s’élèvent vers le ciel les pénis monumentaux en érection glorificatrice. McCarthy fait de la rhétorique, vous y voyez un plug anal, moi j’y vois un arbre de noël, moi j’y vois une sculpture abstraite proche de Arp ou Brancusi. L’intelligence de l’œuvre en plus de ces éventuelles qualités formelles, est de s’inscrire in situ et de faire résonner son humour métaphorique dans un espace hyper signifiant qui mérite plus que jamais cet humour-là. Le spectacle du luxe se retrouve face au spectacle méta d’un art blagueur, d’une sculpture proche du canular, que le climat français actuel n’aura malheureusement pas supporté.

Sapin ou plug ? Chocolat ou merde ? même figure rhétorique dans son exposition à la Monnaie de Paris. Au-dessus de l’escalier menant à l’installation, on retrouve le plug, multiplié, en plusieurs couleurs et plus proche par sa forme du simple godemiché, mais également encore plus proche du sapin de Noël. L’installation s’ouvre sur la fabrique de chocolat, évoquant l’univers scintillant des marchés de noël, le bois clair, les elfes blond(e)s habillé(e)s de rouge s’occupant de son bon fonctionnement. L’odeur de chocolat envahit l’espace et très vite, derrière la chocolaterie, le visiteur pénètre dans l’entrepôt. L’odeur est omniprésente, forte, au premier abord agréable, puis très vite écœurante. Les étagères sont remplies de plugs et de père noël en chocolat et autour de ces entreposages, des films projetés sur les murs, de l’artiste grognant, gribouillant les insultes qui lui ont été faites suite aux évènements autour de Tree. Ces films remplacent une installation initialement intitulée dreamscapes et apportent à cet espace étrange un climat horrifique et nauséabond réjouissant, à l’image de l’inquiétante porte d’entrée de l’entrepôt qui s’ouvre automatiquement et sans bruit à l’approche du visiteur, donnant à la visite une touche ésotérique non négligeable.

Depuis le début de sa carrière Paul McCarthy, complice de feu Mike Kelley, joue avec les fluides, ceux du corps et ceux de la société de consommation, sang et ketchup, sperme et moutarde et ici donc, merde et chocolat. Ce travail, parfois pendant satiriste d’un certain actionnisme Viennois, fait forniquer les personnages de Walt Disney, fait se tordre le cou au cartoon trop lisse, trop enfantin, arbre cachant la forêt du capitalisme et de la mondialisation outrancière par l’image. Le travail de McCarthy n’est donc pas lui-même exempt d’outrance. Aujourd’hui, on retient principalement celle qui concerne sa cote, très élevée dans le monde de l’art contemporain, bien qu’il ait passé trente ans sans vendre une seule œuvre. L’outrance dans le travail de McCarthy passe par la taille, le gore, le bruit assourdissant que font parfois ses œuvres, aussi bien en elles-mêmes que dans l’espace médiatique.

La chocolaterie fonctionne, les pères Noël sont produits à la chaîne et entreposés sur des étagères par des employés silencieux aux perruques blond-platine. L’espace tortueux est saturé de ces écrans sur lequel McCarthy crayonne et gronde, râle, vomit les insultes qu’il a subies. Cette plainte animale emplit l’espace et le créateur devient ogre chocolatier. Et tout ce petit monde, cette usine temporaire se retrouve sous le joug monstrueux de ce bruit et de cette main griffonnante. Le visiteur déambule dans les salles agencées sans souci de faire exposition, les miroirs réfléchissent les projecteurs, on se fait éblouir, agresser par les grognements et bruits de papiers déchirés. Et il y a l’odeur qui persiste, la nausée est proche, mais elle est salvatrice et revigorante.

Paul McCarthy – Chocolate Factory à la Monnaie de Paris – Jusqu’au 4 janvier 2015

Note: ★★★★☆


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