Michael keaton/Riggan est un acteur Hollywoodien à la popularité descendante, il décide aujourd’hui de relancer sa carrière en l’anoblissant, à savoir se produire dans une pièce de Broadway, à New York donc.
Le projet formel du film est connu, il est de faire tenir le récit en un seul long plan séquence, qui aura nécessité de longues heures de retouches en post-production. L’Arche Russe de Sokourov épousait déjà cette forme du « film séquence », à la différence que lui était réellement tourné en une seule prise, le film d’Inarritu a le mérite de ne pas cacher ses « trucs ». Disons que « ça ne coupe pas vraiment », et le film n’a pas honte de manquer de respect à un programme plastique qui n’est peut être finalement pas son point central.
De quoi parle Birdman, sinon de la tension entre fiction et réalité ou plutôt, entre préoccupations réelles et fictionnalisations de la vie, quand ces deux rapports au réel se mettent à se ressembler ? Beaucoup d’autres sont passés par là, Cassavetes, Lynch, Zulawski… et certains dialogues poussifs de Birdman ne suffisent pas à les oublier, comme si le cinéaste n’avait pas une assez grande confiance en son dispositif de mise en scène et forçait ses personnages à commenter sans arrêt les thématiques soulevées par le film. Dommage car si le réalisateur fait passer son film par quelques moments introspectifs sans grand intérêt, il passe aussi par des étapes burlesques et des moments de crises réjouissants. Emma Stone, Edward Norton, et Zach Galifianakis sont prodigieux et la caméra semble l’avoir heureusement compris. Chaque personnage possède son moment de monologue et la mise en scène interdisant le contre champ oblige le spectateur à se focaliser sur celui ou celle qui parle, une « séquence » devrait à ce titre, garantir l’oscar à Emma Stone qui électrise littéralement le cadre jusqu’à un sentiment de frayeur très impressionnant.
Dans ce long vrai/faux plan séquence qu’est le film, sont installés des oppositions et dichotomies diverses, premièrement : la scène et les coulisses, autrement dit le théâtre et la vie en dehors du théâtre. Mais également le cinéma et le théâtre, l’acteur et le non-acteur, la personne réelle et le double fictionnel. Tous ces éléments et surtout le dernier (le double intérieur de Michael Keaton venant des restes qu’il a du rôle du super-héros Birdman qui fit son succès) rendent l’espace unique du film le lieu d’un chaos apparent entre plusieurs champs de réalité apparemment mélangés par la mise en scène, mais finalement tout à fait distincts les uns des autres. Les apparitions fantastiques/fantasmés par Riggan ne viennent finalement jamais réellement bousculer les autres champs et l’on commence à douter de la pertinence de ce plan séquence géant qui pourtant ne s’arrête pas vraiment. Le regain d’intérêt arrive pourtant quand les personnages haussent la voix, quand ils en viennent aux poings et aux insultes… Il ne s’agit pas de rêver un film qui ne serait que sur un seul mode, mais l’on peut être en mesure de regretter un manque de confiance en la porté symbolique réelle des étapes plus euphoriques et de crises, qui semblent parfois avoir le rôle de récréations quand mises à côté des épisodes plus graves et solennels.
Ce que le film raconte du théâtre et du cinéma n’est tout de même pas aussi bête que l’on pourrait le penser (malgré le pachydermique deus ex machina final sur scène, très regrettable), un personnage de critique théâtral, Tabitha, vient formuler le doute que le spectateur possède quant à la qualité éventuelle de la pièce que tente de monter Riggan, par rapport au cinéma. Son adaptation de Carver ne vole pas haut et le film ne verse heureusement jamais (car il affirme lui-même la puissance de la correction et création numérique) dans un rapport nostalgique au théâtre en opposition avec le cinéma et notamment contre les franchises de super-héros dont Riggan a un jour fait partie. Ce personnage fictif de Birdman est évidemment une borne méta sur l’acteur Michael Keaton lui-même, dont le Batman des années 1980 se fait cruellement remplacer par celui incarné par Christian Bale (voir la magnifique séquence de Nos Pires Voisins, qui exemplifie cela parfaitement).
Le film intéresse et surprend également, lorsque Riggan, bloqué derrière le théâtre pendant une représentation, va devoir traverser Times Square en caleçon, se faisant ainsi filmer par des dizaines de smartphones éberlués et devenant instantanément un phénomène internet (« plus de 300 000 vues en une heure »). La figure célèbre qu’est Riggan n’a finalement qu’à sortir à poil dans la rue pour relancer sa popularité statistique. À quoi bon se fatiguer à monter une pièce de théâtre que seulement quelques privilégiés verront avant d’aller dîner au restaurant ? L’image est un peu sèche, mais elle fonctionne et toujours dans cette logique de tentative de mélange des champs, s’esquisse un mélange des représentations de soi, celles où ceux qui regardent sont un public d’amateurs intéressés et critiques, celles où c’est la foule qui matte, celles où c’est la famille qui regarde et juge (formidable Amy Ryan), et celles face au miroir.
Beaucoup de choses dans Birdman, beaucoup d’éléments littéralement mis les uns à la suite des autres, mais peut être pas le meilleur dosage possible entre ces éléments ; et ce qui semble être un déroutant changement de thème et d’intentions à la toute fin du film, venant bousculer le programme formel ainsi que narratif, n’aide pas à ce que le film nous apparaisse comme définitif, comme accordant ses différents présupposé à sa plastique impitoyable, qui fait rentrer le moindre détail dans un système semblant ne pas être toujours celui souhaité par le réalisateur.
En 2008 sortait Synecdoche New York de Charlie Kaufman, un échec pour beaucoup, lui aussi dû à un lourd projet esthétique, traitant également des allers-retours entre scène de théâtre et « vie normale ». On se rappelle pourtant de ce film comme un « film malade », et de nombreux éléments finissent par se déployer et appellent l’affection du spectateur et du critique. Le problème de Birdman c’est peut être sa déjà grande popularité anticipée, son bizarre désamorcé par son propos trop appuyé, trop formulé par le film lui même. Sa délicatesse et son burlesque flottant étant trop souvent relayés par un besoin de « dire », arrêtant le mouvement et l’action, ici pourtant meilleurs producteurs de sens et d’affects que les éléments directement réflexifs.
Note:
Enregistrer
Enregistrer