Retour en petite forme pour les Wachowski, trois ans après Cloud Atlas. En son temps, Matrix apportait sa petite révolution en introduisant le bullet time (trouvaille de Michel Gondry) dans la scène d’action. Speed Racer faisait preuve d’une galvanisante hystérie graphique. Cloud Atlas affrontait un défi narratif et montait en parallèle des histoires se déroulant dans tous les lieux et tous les temps. Enfin V pour Vendetta, adapté pour l’écran, mais non réalisé par la fratrie, tentait enfin de faire du blockbuster le véhicule d’un message contestataire.
Jupiter : le destin de l’univers semble témoigner d’une ambition plus modeste et se contente d’être un space opera dont il y a fort à douter qu’il fera date. Connaissant la cutlure geek des Wachowski, on peut parier qu’ils veulent seulement se faire plaisir en ranimant un genre qui leur est cher. Ce geste cinéphile renvoie au double-programme Grindhouse de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, mais chez ceux-là, la modestie du projet n’était pas soutenue par des moyens faramineux. Le nouveau jouet des Wachowski a coûté des millions et cela se voit à l’écran, le film faisant preuve d’un faste visuel qui pour la première fois chez eux tourne un peu à vide.
En Russie, un homme observe les étoiles depuis son télescope, aux côtés de sa femme enceinte. S’inclinant sur le ventre rond, il tente d’obtenir de l’épouse que l’enfant soit nommée Jupiter. Quelques séquences plus tard, l’enfant (Mila Kunis) a grandi, orpheline de père avant même de naître, vivant avec sa famille émigrée à Chicago. Gagnant son pain comme aide-ménagère, sa vie est bousculée quand elle menace de se faire tuer par des extra-terrestres. Un dénommé Caine Wise (Channing Tatum) débarque et la sauve de justesse, lui révélant par la même occasion son appartenance à une lignée royale, les Abrasax, qui gouvernent la destinée du monde à son insu. Les deux derniers descendants de cette dynastie, Titus et Balem, comptent bien mettre la main sur Jupiter, chacun pour des motifs différents.
La trajectoire de Jupiter n’est pas sans points communs avec celle de Néo : un être a priori banal se voit révéler une destinée hors du commun en même temps qu’est dévoilée une réalité ignorée. Jupiter, toutefois, loin de l’ambition de Matrix, est la moins ambitieuse réalisation des cinéastes, voire la plus faible. Le film égare à force de bavardages, Jupiter se voyant longuement expliquer les rouages de cet univers jusqu’alors inconnu par les différents protagonistes. Cette absence d’économie dans les dialogues menace d’opacifier le récit plutôt qu’elle ne le mène vers l’efficacité.
Mais alors même que le scénario repose sur une prémisse déjà familière (tout cela rappelle beaucoup Star Wars où Obi Wan Kenobi allait chercher Luke Skywalker sur Tatooine), il se montre aussi plutôt pauvre dans son déploiement. Les Wachowski poussent le vice jusqu’à répéter trois fois une séquence de sauvetage de l’héroïne par Caine Wise. Pourquoi pas, mais il faudrait que cela se réponde, se complète plutôt que de simplement s’additionner, allant jusqu’à passer pour un manque d’inventivité.
Si les décors sont beaux, ils ont plus valeur d’habillage interchangeable que d’environnement réellement investi par les personnages. Alors oui, la planète de gaz est spectaculaire. Oui, la séquence de mariage éblouit par sa splendeur, prouvant que les cinéastes n’ont pas perdu leur talent de plasticien. Mais on aimerait que toute cela s’anime et soit dramatisé plutôt que cantonné au rôle de toile de fond. De plus, ces éclats esthétiques sont disséminés ici et là, mais l’ensemble se révèle, c’est le comble, assez banal. Les routinières scènes d’explosions en arrivent à former une bouillie numérique faite de plans interchangeables. Les séquences d’action, à force de sur-découpage, perdent en lisibilité. À la fin, le spectacle passe pour grosse machine pétaradante et malgré tout inopérante.
Difficile d’esquiver la comparaison avec Les Gardiens de la galaxie. Les touches de comique parsemant Jupiter font pâle figure à côté de l’irrévérence fièrement assumée dans la dernière livraison Marvel. Le rôle de méchant maniéré à la voix grave interprété par Eddie Redmaine lasse, tant il est stéréotypé et surtout, tant le film ne fait rien pour s’amuser de ce stéréotype, le renouveler ou le subvertir.
Quelques instants de grâce suspendue trouvent pourtant leur place, à l’instar de la séquence où un essaim d’abeilles (dotées du don de reconnaissance des créatures de sang royal) se forme autour de l’héroïne. Ou encore à la toute fin, quand les personnages retrouvent la skyline de Chicago sous un ciel dégagé, loin de l’opulence des séquences précédentes. Elle rappelle d’ailleurs l’aube du dernier plan de Matrix Revolution, respiration à la fin d’un ultime volet qui poussait l’accumulation d’effets numériques jusqu’à l’indigestion.
Jupiter : le destin de l’univers n’est jamais vraiment nul, mais il ne se hisse guère au-dessus du lot commun des blockbusters. Les Wachowski ont déjà prouvé qu’ils pouvaient bien plus.
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