Kingsman : services secrets, raconte une histoire connue, celle d’un jeune comme les autres, choisi par une association secrète pour devenir un jeune pas comme les autre. Le film de Vaughn – son meilleur très certainement – pose de nombreuses questions à qui saura repérer la foultitude de sous-entendus et de discours qui se cachent en lui.
Kingsman n’a pas de modèle antérieur précis, il pioche ce qui l’intéresse dans une galaxie de films à succès allant des comédies d’espionnage aux teen-movies initiatiques, ce n’est pas une parodie, pas une variation autour du classique film de FBI/MI6 ou « d’adolescent élu » issu de la littérature jeunesse. Vaughn fait ici un film très soucieux de s’inscrire de manière critique dans l’histoire du cinéma d’exploitation.
Le film commence pourtant très mal, à faire bondir de son siège et quitter la salle en claquant la porte, quand deux hélicoptères mitraillent et bombardent une mosquée ou ce qui apparaît comme un palais oriental, sur fond de Dire Straits (Money for nothing) tonitruant. La glorieuse culture populaire occidentale en défonce littéralement une autre joyeusement, beau programme…
Le film continue de mal commencer en nous montrant une pauvre femme désemparée sans son homme qui n’est plus là, tombant ainsi dans de pénibles clichés que n’arrangent pas l’incursion maladroite du blockbuster dans le territoire du cinéma social anglais. La suite nous met face à ce qui se présente comme des jeunesses fascistes, dans lesquelles les adolescents choisis se font impunément tuer pour ne pas avoir été à la hauteur des attentes d’une association secrète de renseignements.
Comment se relève-t-on après cela ? Quelques indices à droite à gauche nous indiquaient déjà que peut être le film allait nous procurer un plaisir coupable. On se mettait à penser à un cinéma d’espionnage fun, celui des premiers James Bond, qui, dans leur machisme et leur stéréotypes outranciers ont pourtant fait fluctuer tout le cinéma d’action qui a suivi (pour par la suite se mettre à la traine de ce même cinéma d’exploitation), en gardant un sourire charmeur, mi-classe, mi-ridicule.
Le cinéma américain, maintenant producteur de la franchise Bond, a oublié ce temps du foisonnement de gadgets, de la veste impeccable et du méchant qui veut (littéralement) détruire le monde. Pourtant regardez : James Bond, Jack Bauer, Jason Bourne… « JB », comme d’autres l’ont remarqué avant lui, Kingsman se permet une vanne sur ces initiales qui ne quittent pas l’action américaine.
« Au fond ce sont nous, les Anglais qui vous ont inventés, vous n’êtes bons qu’à singer nos modèles avec des millions de dollars de plus », voici l’adresse jubilatoire que Kingsman fait au cinéma blockbuster américain contemporain. James Bond est maintenant sombre et torturé, tout comme l’est Christopher Nolan (britannique passé du côté obscur en quelque sorte), dont les films et l’esthétique contaminent toute la grande distribution et le reste n’est que déploiement et déclinaisons de franchises, épuisement et essorage de concepts marchands. Kingsman est loin de ne pas être basé sur une « recette qui marche », mais il contient en lui de nombreux pieds de nez à ces dites recettes, qui le rendent suffisamment sympathique pour pardonner les quelques impressions de déjà-vu qui semblent de toute manière malheureusement inévitables quand autant d’argent est en jeu.
Petit à petit alors, le film se relève, on apprend que personne n’est mort durant les entraînements pour devenir Kingsman et le premier plan impérialiste n’était peut-être qu’un détail, regrettable certes, mais autre chose se dessine politiquement dans le film.
À des figures américaines sportives et issues de la grande consommation, Kingsman répond par une élégance et un raffinement so british, qu’incarnent Michael Caine et Colin Firth, dont le QG se cache derrière une boutique de costumes sur mesure de luxe, Caine dont la présence régulière chez Nolan nous avait presque fait oublier qu’il fut un jour le héros de film films comme The Italian Job et autres films de gangsters anglais, classes et souriants. Que Vaughn ait fait appel à cet acteur-là n’est pas un hasard ni un simple coup marketing. Le Caine de Nolan n’est pas tellement différent du Caine de Vaughn, mais l’univers dans lesquels ils évoluent sont à des années lumières de décalage et Michael semble décidément plus à l’aise à Londres dans un fauteuil de cuir, un verre de scotch à la main.
Kingsman prône un retour aux gadgets, aux costumes trois pièces impeccables, aux épées cachées dans les cannes et aux parapluies comme armes de combat. L’Amérique est d’ailleurs directement attaqué par le scénario : le méchant est un milliardaire New Yorkais (Samuel L. Jackson qui s’invente un réjouissant zozotement) ayant fait sa fortune par internet et souhaitant faire son gros coup de méchant pour des raisons écologiques, une sorte de comble de progressisme ultra-libéral dégénéré, regardé de haut par les Anglais dans leur organisation aristocratique au pesant arbre généalogique. Si Kingsman est « conservateur » il l’est d’une esthétique par rapport à une autre. Le film ne laisse pas l’avenir du monde et de l’Angleterre entre les mains des riches de naissance, le personnage principal vient d’une banlieue terne et surpasse sans problème ses camarades héritiers. Un très grand moment voit d’ailleurs les têtes d’une bonne partie des ultra-riches de la planète exploser et produire de très beaux effets de couleurs numériques, ce genre de séquence procure un bonheur inouï, évoque Dr Folamour, et vient mettre en branle la fièvre capitaliste qui pèse sur tous les blockbusters. Kingsman, de par ses positions paradoxales (conscientes ou non) et ses contradictions, passionnera à coup sûr les cultural studies…
(Autre exemple d’attaque faite à l’américanisme qui enveloppe le divertissement mondial : un raccord entre la maison blanche et une chasse d’eau tirée par le personnage principal.)
Cette esthétique « british » est incarnée dans le film et humainement présente en tant que modèle par Colin Firth. Les héros décérébrés de Kick-Ass prenaient pour modèles des héros inexistant, fictionnels et le film menait alors à une étrange violence mal digérée. Le modèle est ici tangible, il converse avec son fils spirituel qui prendra sa place, ses poses, ses vêtements et ses lunettes une fois qu’il aura disparu. La transition/transmission est donc également celle d’un univers cinématographique, une passation de pouvoirs esthétiques, une volonté de préserver cet univers détendu et inventif, plus qu’un éloge capitalistique de la virilité aristocratique.
Kingsman préfère Kc and the sunshine band pour ses scènes d’actions, Kingsman se fout complètement d’être ultra violent et de massacrer une église d’intégristes au son du solo de Free Bird – éternel rock de vieil adolescent – mettant parfois le spectateur en position inconfortable, comme face à ce premier plan ou à la dernière image (grivoise) du film… Kingsman n’a pas vraiment d’excuse, il est parfois peu aimable, mais ce qui apparaît dans un premier temps comme repoussant finit par devenir rafraîchissant tant cela prend la forme de réponses, s’inscrivant par rapport à d’autres films, d’autres approches du blockbuster et Kingsman finit par avoir l’intelligence de réfléchir aux symptômes qu’il incarne, sinon de les contourner, de les brouiller un peu.
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