Au programme, trois films de la sélection officielle, The Sea of Trees de Gus Van Sant, Mia Madre de Nanni Moretti, tous deux en compétition et Nahid, premier film iranien de la réalisatrice Ida Panahandeh dans la catégorie Un Certain Regard.
Disons le tout net, The Sea of Trees n’est pas le meilleur film de Gus Van Sant. Il est même assez mineur au regard des sommets que sont Elephant, Gerry, My own private Idaho ou Last Days. On a néanmoins du mal à comprendre l’acharnement médiatique qui règne sur la croisette depuis sa projection de presse. The Sea of Trees reste un film de Gus Van Sant, et c’est déjà beaucoup. On y retrouve la plupart des motifs du metteur en scène et le film s’apparente même à un film synthèse entre la veine la plus minimaliste, la plus organique, la plus naturaliste du cinéaste et celle beaucoup plus émotionnelle, beaucoup plus narrative. Le film se découpe en deux segments distincts qui s’entrecroisent. Dans le premier, on y découvre Arthur Brennan (Matthew McConaughey) dans la forêt d’Aokigahara, aux pieds du mont Fuji. Il est venu mettre fin à ses jours dans ce lieu considéré comme le plus bel endroit du monde pour se suicider. Une forêt habitée par les esprits dans laquelle il va faire une rencontre qui va radicalement changer le sens de sa vie. Dans le second segment, Arthur et sa femme Joan Brennan (Naomi Watts) affrontent ensemble l’alcoolisme et la maladie.
Le premier segment est résolument le plus réussi et le plus beau. Aux plans sublimes, très amples, de la forêt infinie succèdent des plans rapprochés, très cadrés, au plus près du visage et du corps de McConaughey. On le voit marcher dans cette forêt accidentée jusqu’à l’épuisement avec une certaine forme d’asséchement qui rend le personnage totalement organique, fusionnant avec les contrastes d’une nature sombre. Gus Van Sant ne filme rien d’autre que la rencontre existentielle d’un personnage avec son propre fantôme, à la manière de Last Days ou de Gerry. Et c’est fascinant. Le second segment est sans doute le plus faible et fragilise la puissance du film. Il brasse des motifs assez proches de ceux de Will Hunting par exemple mais cette fois au travers d’un couple en déséquilibre, lancé à cent à l’heure dans la fatalité de l’échec. Le style est beaucoup plus narratif, beaucoup plus découpé et présente une forme beaucoup plus analytique sans ellipse et très scénarisée. Bien entendu les deux segments vont se répondre. Il reste bien sûr quelques maladresses d’écriture mais le film se tient et nous donne à partager le regard très poétique de Gus Van Sant sur le sens de nos vies. Et c’est avec beaucoup d’élégance qu’Alt-J signe le score impeccable de The Sea of trees en signant un morceau inédit au titre éponyme.
Nanni Moretti présentait aussi son nouveau film, Mia Madre, en compétition. Le cinéaste revient à l’autofiction après deux films engagés ancrés dans la crise politique italienne : Le caïman et Habemus Papam. Le réalisateur continue de creuser le sillon de son journal intime en omettant cette fois de se mettre en scène comme principal personnage du film. Il choisit l’actrice Margherita Buy qu’il a déjà faite tourner dans deux de ses films. Elle incarne cette réalisatrice en plein tournage d’un film dont le rôle principal est tenu par un célèbre et insupportable acteur américain d’origine italienne (John Turturro). Le film est une grande réussite. On retrouve les thèmes chers à l’italien qui traduisent les épreuves de la vie : la maladie, les difficultés au travail, le destin individuel face à l’intérêt général, la famille. Nanni Moretti y joue le personnage du frère de la réalisatrice et ils vont se confronter tous les deux à la mort annoncée de leur mère. Le film oscille entre de très grandes scènes de comédie extravagantes pour la plupart soutenue par John Turturro qui livre une prestation à la hauteur du fantasque joueur de Bowling dans The Big Lebowski. Une scène de danse anthologique vient ponctuer les nombreuses scènes de répétition où l’acteur n’arrive pas à intégrer le texte. Ce sont les premiers éclats de rire de la compétition et comme Nanni Moretti a l’art et la manière de jouer avec l’ascenseur émotionnel, le film émeut jusqu’aux premières larmes de la quinzaine. Et ce sont sans doute dans ces scènes que le cinéaste s’affirme le plus comme un très grand metteur en scène. Une caméra flottante qui remonte une file de cinéma infinie, des couloirs bardés de livres et de bibelots qui rappelle la mémoire de l’être aimée venu à partir et ce plan final tout en pudeur capturant le visage de Margherita Buy. Tout ce qui touche aux premiers signes de la maladie, des repas partagés à l’hôpital jusqu’aux dernières caresses avant le dernier souffle sont aussi des moments d’une grande intensité émotionnelle. Avec Mia Madre, Moretti nous présente donc un film résolument personnel d’une grande pudeur dans la veine de ses chroniques familiales les plus intimes.
Enfin, nous étions curieux de découvrir le premier film de l’iranienne Ida Panahandeh, Nahid à Un Certain Regard. Curieux d’observer le regard d’une femme réalisatrice sur la société iranienne contemporaine, curieux par le sujet que le film embrasse. Nahid (Sareh Bayat) est une jeune femme divorcée. Elle vit seule avec son fils de 10 ans. Selon la loi iranienne, la garde de l’enfant revient au père mais ce dernier a accepté de la céder à son ex femme à la condition qu’elle ne se remarie pas. Nahid va tomber amoureuse, une nouvelle fois. Le film est assez mineur. Il souffre de ne pas être porté par une actrice qui donne un élan romanesque au personnage de Nahid et la mise en scène très classique ne donne pas grand chose à voir en dehors de l’expression littérale de cette histoire.
The sea of trees (La forêt des songes) – Sortie en salles le 9 septembre 2015
Note:
Mia Madre, sortie en salles le 23 décembre 2015
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Nahid
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