Au programme, trois films de la sélection officielle, Moutains may Depart du Chinois Jia Zhang-Ke, Youth de l’Italien Paolo Sorrentino, tous deux en compétition et Je suis un soldat, premier film du français Laurent Larivière présenté à Un Certain Regard. Nous avons également vu Fatima du français Philippe Faucon à la Quinzaine des réalisateurs.
Après le prodigieux Touch of Sin, prix du scénario en 2013, le chinois Jia Zhang-Ke revient avec Mountains may depart. On y retrouve Zhao Tao, son actrice fétiche et épouse. Autant le dire immédiatement, ce film est pour nous le grand choc de la compétition officielle et notre favori pour La Palme d’or. Hormis Hou Hsiao Hsien, présenté demain, on imagine mal comment ce monument de cinéma total pourrait être détrôné au sein de cette édition 2015. L’Asie aura produit cette année à Cannes deux chefs d’œuvre prêts à marquer les esprits pour longtemps : Cemetery of splendour d’Apichatpong Weerasethakul et donc ce nouveau film de Jia Zhang-Ke.
On y suit le destin d’un triangle amoureux sur trois époques différentes. Les deux premiers segments se déroulent en 1999 et en 2014 en Chine. Le troisième en 2025 à Melbourne en Australie.
Le film s’ouvre sur une sidérante chorégraphie au son de Go West des Pet Shop Boys et caractérise d’emblée le grand rêve d’ouverture des jeunes générations chinoises sur l’occident et sur le capitalisme.
Jia Zhang-Ke filme depuis toujours l’état de transformation de son pays et ses mutations économiques, tantôt par le prisme du documentaire, tantôt par des fictions sociales, ou encore tout dernièrement par le film de genre.
Ici il se lance dans la saga pure et simple et son film aurait pu tout aussi bien s’appeler Il était une fois en Chine, comme une révérence à Sergio Leone.
Tao (Zhao Tao), une jeune fille de Fenyang est courtisée par ses deux amis d’enfance, Jinsheng (Zhang Yi) et Lianzi (Liang Jingdong). L’un est destiné à un avenir prometteur dans l’exploitation énergétique, l’autre est un ouvrier dans les mines de charbon. Tao va devoir choisir, et comme le dit la chanson Go West, elle choisira ce qu’elle considère comme étant un avenir meilleur.
Les deux premiers segments suivent avec brio les entrelacements amoureux de ces trois personnages, jusqu’à la naissance d’un enfant.
Le troisième segment nous projette dans un futur proche en Australie où l‘enfant, au doux patronyme de Dollar, devenu jeune homme, va se confronter à l’incommunicabilité avec les siens et la douleur de ses racines.
C’est un changement de civilisation, un choc des générations qu’évoque le cinéaste avec force.
Yu Lik Wai, le directeur de la photographie de tous les films de Jia Zhang-Ke et réalisateur de Love will tear us apart, impressionne une fois de plus avec ces images de paysages industriels de la Chine profonde ou avec les scènes de boite de nuit d’une jeunesse dorée chinoise anglicisée.
Jia Zhang–Ke ose toutes les audaces jusqu’à considérer les 45 premières minutes de son film comme l’introduction pré-générique. Et cela n’est pas anodin dans le choix du cinéaste, car le film est aussi un grand film sur le temps qui passe, les époques révolues et les désirs d’avenir. La vie y est très présente bien sûr, mais aussi la mort, la maladie, les envies de suicide.
C’est avec une émotion immense et la chaire de poule que le grand théâtre Louis Lumière à Cannes s’est enthousiasmé. Il serait indécent que Jia Zhang-Ke ne soit pas présent au palmarès dimanche soir.
Une leçon de cinéma, sans doute, un manifeste social sur les idéaux, la vie et le temps qui passe, certainement, une œuvre qui compte, plus que tout.
En compétition également, Paolo Sorrentino présentait Youth avec un casting ahurissant : Michael Cain, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Jane Fonda et Paul Dano.
L’italien fait partie de ces réalisateurs que l’on adore détester ou que l’on vénère sans retenue. Nous étions plutôt parmi ceux de la première catégorie même si La Grande Belleza, présenté à Cannes en 2013, laissait entrevoir davantage de maturité moins d’excès gratuits, moins de posture bling-bling et m’as-tu-vu dans son cinéma.
Youth confirme ces impressions et ne déçoit pas, bien au contraire. Le cinéaste délivre un grand film.
Fred (Michael Caine) et Mike (Harvey Keitel), octogénaires fatigués, et respectivement maestro à la retraite et cinéaste en mal d’activité, se retrouvent dans un hôtel luxueux en Suisse aux pieds des Alpes présenté comme un caveau pour célébrités en retour de gloire.
Luxe, calme et volupté, mais surtout angoisse de vieillir, de se perdre, de ne plus apprendre à vivre et à aimer. C’est avec beaucoup de mélancolie et d’honnêteté que le cinéaste film le testament de ces deux hommes perdus pour toujours.
Paolo Sorrentino ne se refait pas. Il y a toujours des fulgurances stylistiques dans son cinéma. Mais elles servent cette fois la fluidité de la mise en scène. Finis les montages syncopés, le trop plein boursouflé ou l’extravagance ridicule. Le cinéaste pend son temps avec une certaine forme de plénitude. Et son cinéma est de toute beauté.
Les acteurs sont époustouflants. Caine et Keitel bien sûr, mais surtout Rachel Weisz et Jane Fonda dans une apparition foudroyante qui rappelle l’âge d’or du cinéma hollywoodien.
Avec Youth, Sorrentino passe du brouillon à l’éclat et porte haut les couleurs du cinéma italien.
A la quinzaine des réalisateurs, nous avons découvert le nouveau film de Philippe Faucon, Fatima.
Le cinéaste passe de La désintégration, son précédent film, à la reconstruction par l’instruction. Et c’est très beau.
Fatima raconte l’histoire d’une mère algérienne dans la France d’aujourd’hui en lutte permanente pour permettre à ses filles de réussir.
Le film est très intelligent car il ne prend pas la forme d’un film de combat mais plutôt la forme d’une étude sociale avec beaucoup de douceur et de bienveillance sur les personnages sans jamais prendre partie.
Fatima ne parle pas français. Elle fait des ménages pour permettre à ses deux filles de suivre un enseignement qui leur permettra de se sentir libres et accomplies. Le lycée pour l’une, la première année de médecine pour l’autre.
Ce que montre le film, c’est la difficulté de s’élever socialement. Mais non pas vis-à-vis du système français, car finalement les efforts payent, mais davantage vis-à-vis du regard de ses pairs.
Dès lors que l’ainée prend sa liberté et réussit médecine, ce sont les quolibets, les provocations, la dureté des mots qui rythment le quotidien de ces femmes.
S’intégrer, c’est aussi se désintégrer semble dire le cinéaste. Et il souligne ainsi toute la complexité sociale de notre pays.
C’est aussi un film de devoir. Les sacrifices financiers, les heures de travail à n’en plus finir, les difficultés à accéder aux mêmes droits lorsqu’on est une mère algérienne en France, obligent la famille à réussir envers et contre tous.
Philippe Faucon, cinéaste négligée en France, mérite toute l’attention requise. Il livre avec ses films un regard juste et éclairant sur notre société.
Enfin à Un Certain Regard était présenté Je suis un soldat de Laurent Larivière avec Louise Bourgoin et Jean Hughes Anglade.
Le film est un drame familial dans le nord de la France sur fond de trafic de chiens. Pas grande nouveauté à l’horizon si ce n’est la performance de Louise Bourgoin.
Elle est aux antipodes des rôles glamour qui accompagnent sa filmographie. Ici, au chômage, elle rentre de plain pied dans les zones sombres du trafic canin et incarne son personnage avec un équilibre parfait entre densité physique et fragilité émotionnelle.
A suivre donc car l’actrice, avec ce rôle, diversifie considérablement les personnages auxquels elle peut légitimement candidater.
Mountains may depart
Note:
Youth
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Fatima
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Je suis un soldat
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