Trois films du tchèque Karel Zeman connaissent une nouvelle vie en salles grâce à Malavida. Venu du dessin et de l’animation, le cinéaste donna forme à un univers sous haute influence de Jules Verne, jonglant entre animations, prises de vue réelles et théâtre de marionnette.
Voyage dans la préhistoire (1955) est une très bonne porte d’entrée pour cette œuvre si singulière. Inspiré de Voyage au centre de la terre, le récit raconte comment le jeune Georges et ses amis, après avoir trouvé le fossile d’un trilobite à l’entrée d’une grotte, décident de plonger au sein des entrailles terrestres. Passé le seuil de la cavité, les quatre enfants s’embarquent sur le fleuve du temps, remontant jusqu’à l’ère primaire. Au cours de leur voyage, ils croisent toute une faune préhistorique, figurée par Zeman grâce à des marionnettes. Jusque dans des films contemporains (La Grotte des rêves perdus, Oncle Boonmee), la grotte semble être ce lieu déclencheur d’imaginaires où l’humain peut rencontrer son origine comme partir pour un voyage dans le temps. La grande idée du film de Zeman est d’en faire la source du fleuve temporel qui débouchera enfin sur l’océan originel, berceau de la vie, mer amniotique où les garçons trouvent un authentique trilobite et peuvent réunir en un seul plan la créature et son fossile.
Ce film permet déjà de prendre la mesure de l’ambition formelle du cinéaste, faisant feu de tout bois pour donner corps à ce monde imaginaire : une grande poésie nait de la rencontre entre les monstres d’animation, combinant la nature en prises de vue réelles et les dessins sous influence des éditions Hetzel. Frappant aussi combien beaucoup de films d’aventure postérieurs sont redevables à ce Voyage, à l’exemple des productions Amblin (Explorers, Les Goonies, etc). Spielberg et consort semblent s’être directement nourris de ce récit enfantin où la soif d’émerveillement et la curiosité sont moteur d’une petite troupe d’amis.
En 1962 avec Le Baron de Crac, Karel Zeman s’inspire du Baron de Münchhausen et compose une merveilleuse odyssée fantasque. La combinaison de différentes techniques, pour beaucoup dans le charme du Voyage dans la préhistoire, est poussée encore plus loin. Zeman semble avoir gagné en aisance dans sa mise en scène. Intégrant les personnages dans un monde conçu d’illustrations dans le style de Gustave Doré, le film laisse admiratif tant les corps des acteurs s’intègrent bien à un espace fabriqué de dessins. La façon dont le tout s’anime et possède dimension et profondeur, produit un résultat ahurissant. Cet opus vaudra sans doute à Zeman son surnom de Méliès tchèque. On pense en effet beaucoup au réalisateur du Voyage dans la Lune devant Le Baron de Crac. C’est surtout la modernité de la technique qui sidère, bien avant qu’on parle de numérique ou de fond vert.
Le Baron de Crac mériterait déjà l’admiration s’il ne réunissait que ces qualités remarquables, mais il faut dire un mot de l’imagination, pour le coup bel et bien au pouvoir, qui régit ce petit monde. Une séquence liminaire (montage à se pâmer !) nous montre l’expédition d’un terrien du XXe siècle vers la Lune. Là, le voyageur prénommé Tonin découvre que des doux rêveurs, parmi lesquels Cyrano de Bergerac et le fameux baron, ont investi ce lieu bien auparavant. En compagnie du baron, Tonin retourne sur terre à bord d’un vaisseau tiré par des chevaux ailés. Chez Zeman, les lois physiques et temporelles n’ont plus cours. Tonin refuse d’abord de croire à tout ça, mais c’est parce que le savoir scientifique de son époque lui brouille la vue et freine son émerveillement. Le baron, fruit d’une époque moins savante et plus propice à la rêverie, lui ouvre l’esprit. Chez Zeman, l’univers est avant tout ce qu’on en rêve et il semble suffire de croire une chose possible pour qu’elle le soit.
L’Arche de Monsieur Servadac (1970), nouvelle adaptation de Jules Verne, vient clore sur une note désabusée ce trio de film. Le film commence comme une satire ironique de la colonisation française en Afrique. Alors qu’une révolte se fomente, à l’approche d’un astre mystérieux, ce petit bout de Terre se détache du globe et se trouve propulsé dans l’espace. Les lois de la physique à la Zeman régissent toujours l’univers : seulement voilà, sa galerie de personnages, belliqueux et assoiffés de conquête, n’a plus la capacité de s’émerveiller.
Il ne faudrait pas grandir chez Zeman. Alors que le commandement français voit apparaître au loin de pacifiques dinosaures, il ne trouve rien de mieux que de lui tirer dessus à coup de boulets de canon. A la curiosité des enfants du Voyage dans la préhistoire, répond ici la bêtise militaire qui agresse sans même chercher à connaître ou comprendre. Le pouvoir colonial impose sa violence à la nouvelle planète tout comme il a fait peser son joug par les armes sur l’Afrique. Seul le jeune colonel Servadac, amoureux de la belle Angelika, comprend les événements par sa patience, et suggère aux belligérants de vivre en paix à l’occasion de cette nouvelle cohabitation forcée sur ce petit bout de planète. Plus sobre dans sa forme, L’Arche de Monsieur Servadac propose mine de rien une nouvelle forme de merveilleux : il s’agit autant ici de vivre des aventures extraordinaires que de tenter l’utopie de la vie en bonne entente. Une conclusion pessimiste clôt pourtant le film comme en écho aux événements du printemps de Prague, alors même que le cours du récit propose aux personnages de repartir de zéro.
Heureux hasard du calendrier, la reprise en salle de Zeman arrive après la sortie de deux des plus beaux films de SF contemporains, pourtant quasi antithétiques : Mad Max Fury Road et Tomorrowland. Attaqué pour sa naïveté, le film de Brad Bird est pourtant un plaidoyer pour l’imagination comme remède à la sinistrose. Faut-il attribuer à sa perte les catastrophes figurées dans le film de George Miller ? Faut-il reconquérir l’attitude si encline à la découverte, à l’émerveillement et à l’aventure des jeunes héros du Voyage dans la préhistoire contre la bêtise encrassée du pouvoir colonial sûr de son bon droit de L’Arche de Monsieur Servadac ? En tout cas, il faut à coup sûr foncer voir ces magnifiques films.
Voyage dans la préhistoire
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Le Baron de Crac
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L’Arche de Monsieur Servadac
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