« Quand est-ce que tu feras enfin le deuil de cet amour ? ». Dans n’importe quel film, Camille aurait répondu à se mère « Jamais ». Dans Un Amour De Jeunesse, Mia Hansen-Løve choisit de couper avant même qu’elle ne prononce un mot. Elle filme son actrice en gros plan, insiste sur ses yeux qui viennent de lire, huit ans après, la seconde lettre de rupture de Sullivan. La caméra s’attarde sur son visage, et, une fois de plus sur ses larmes. Et aucun mot n’est nécessaire pour dire la plaie encore à vif, pour signifier l’absence de cynisme de Camille. Elle n’a pas réussi à se construire une carapace. Mais pourtant, ce visage là, ces larmes là, ces yeux là montrent qu’elle avance, qu’elle n’est plus la même qu’au début du film et qu’elle est prête, sans doute, enfin, à vivre pour elle-même.
A l’image de cette scène qui clôt presque Un Amour de Jeunesse, Mia Hansen-Løve est partout dans son film. Dans cette économie de mots. Dans cette recherche du rythme parfait. Dans cette faculté à laisser une scène en suspens. Dans l’importance donnée aux lieux. Dans la volonté appuyée de baliser le récit chronologiquement, comme s’il s’agissait d’un accouchement qui ne prendrait pas neuf mois mais presque neuf ans. Dans la musique, organique. Dans la recherche d’acteurs aux accents caractéristiques (Sullivan, sa mère, Lorenz, …). Dans son énergie à sublimer Magne Harvard Brekke et, surtout, Lola Créton, immédiatement immense. Elle ne s’impose pourtant jamais, ne cherche pas à faire deviner sa présence, ni à créer une signature visuelle. La démonstration de force cède la place à la pudeur.
L’exercice de la recherche de références cinématographiques en devient tentant… Rohmer, Truffaut bien sûr. Mais c’est la sensibilité d’Olivier Assayas que l’on reconnaît le plus ici. On pense à Fin Août, Début Septembre pour la langueur, l’intensité des sentiments et l’amour des personnages. Et à autre film qui a fait naître une star. Virginie Ledoyen à la place de Lola Créton. Et si Un Amour de Jeunesse répondait parfois à L’eau froide ?
La Trilogie de Mia Hansen-Løve (Tout est pardonné ; Le père de mes enfants et Un amour de jeunesse) ne commence-t-elle pas par un plan d’eau et ne se clôt-elle pas sur des images de la Loire ?
Ainsi, malgré la qualité inouïe de son casting et de son scénario, Un Amour de Jeunesse est avant tout un film de mise en scène. Un film de « metteuse en scène », même. Un film qui, tout en douceur, opte pour des partis-pris radicaux seuls capables de transformer un récit à priori banal, un pitch trivial (« Camille, 15 ans, ne se remet jamais de sa rupture d’avec Sullivan») en un film épique.
Un film qui ne parle pas tant du deuil et de la perte d’un amour que d’une femme en devenir. Camille, comme Mia, se construisent. Elles font avec leurs rêves. Elles continuent à rechercher l’absolu. Elles assument leur fragilité et, pourquoi pas, une certaine naïveté.
Elles sont si fusionnelles que le point de vue de la réalisatrice est parfois plus fort que l’image de l’actrice. Dans l’une des plus belles scènes du film, le cours sur « la lueur » de Lorenz, Camille a grandi. Elle a désormais les cheveux courts. On la devine sans larmes à force d’avoir tant pleuré. Des années après sa première rupture, elle a trouvé la force d’avancer dans sa volonté de devenir architecte.
Lorenz déborde de charisme. Il est brillant. Il électrise la caméra. Et surtout, on pourrait relire chaque jour son cours d’architecture, improvisé, sur « la lueur » comme un guide de la vie, entre l’ombre et la lumière.
Dès la première seconde, dès l’instant où le professeur entre dans la salle de classe, on devine la suite. Camille va renaître grâce à lui. Le spectateur a ce temps d’avance sur les personnages. Il sait. Mais la réalisatrice le déstabilise en ne lui offrant jamais ce qu’il attend : un contrechamps sur le visage de Camille en train d’écouter sa leçon. Les autres élèves sont filmés. La professeur échange avec la classe. Jamais il n’interagit avec Camille. Jamais la réalisatrice ne cède à cette facilité. C’est au spectateur d’imaginer.
Cette confiance de Mia Hansen-Løve dans le regard du spectateur autorise les faux rythmes, les ellipses et les longueurs. Et permet surtout de se focaliser sur la seule chose qui compte : Camille qui avance.
Mia Hansen-Løve aime passionnément les travaux, les bâtiments que l’on transforme et l’architecture. Ce doit être pour elle le pendant du cinéma dans la vraie vie.
Au fond, elle va jusqu’au bout de cette passion et souhaite que le spectateur fasse partie du chantier d’Un Amour de Jeunesse. La technique, le son, la photo, le cadre, les acteurs, le montage ne font pas tout. Dans la salle, il faut se souvenir des dates, être parfois en avance, parfois en retard, parfois perdu, comme quand Camille et Lorenz s’embrassent pour la première fois alors qu’on les croyait en couple depuis longtemps.
Et quand le noir se fait et que résonne The Water, le spectateur n’en a pas fini avec le film. Au delà d’une invitation à ne pas renoncer à qui il est (le vrai sujet du film ?), Mia Hansen-Løve l’invite à garder un souvenir physique d’Un Amour de Jeunesse. Des dates que l’on égrène. Des corps qu’on devine. L’amour que jamais l’on ne voit se faire. L’eau. Les maisons de famille. Et un chapeau qui s’envole. Comme Camille. Comme Mia.
Note: