Eli Roth, au début des années 2000, entretenait un petit cercle d’aficionados autour de films qui se voulaient être la résurgence d’un genre laissé en décrépitude dans les années 90 : le film d’horreur fauché sans aucune autre ambition que de faire appel à ce qui a de pire en l’homme, de laisser libre court à la morbidité et aux bas instincts.
Cela a donné Cabin Fever (2002), Hostel (2006) et Hostel II (2007), l’adoubement de Quentin Tarantino, qui le surnomme « le sauveur du cinéma d’horreur », ainsi que 300 millions de dollars de recettes pour Hostel, le bien nommé.
Depuis rien ou pas grand chose. Quelques apparitions en tant qu’acteur chez ses bienfaiteurs Tarantino (Boulevard de la mort, Inglourious Basterds), aussi producteur de ses films, ou Aja (Piranha 3D). Et généralement dans des situations de désintégration, lacération ou autres décapitations.
Côté cinéma, rien de neuf jusqu’à cette fin 2015, où l’on peut voir dans les salles françaises depuis quelques jours Knock Knock avec Keanu Reeves et dès le 16 octobre, The Green Inferno, disponible directement en e-cinéma, une spécialité de Wild Bunch depuis le film de Ferrara, Welcome to New York.
The Green Inferno se veut comme un hommage direct à Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, la matrice de tous les films de cannibalisme qui représentent un genre en tant que tel.
La réputation sulfureuse du film de Deodato (ablation de pénis, massacre d’animaux vivants, etc.) et les conditions de tournage très difficiles de The Green Inferno, au cœur de l’Amazonie péruvienne, pouvaient laisser entrevoir une nouvelle étape dans la représentation de la violence à l’écran.
Comme si l’on pensait Eli Roth capable de faire se rencontrer Francis Ford Coppola et Ruggero Deodato.
Il n’en sera rien, le film est très mauvais. C’est un film de ni-ni. Il n’est ni suffisamment radical dans la représentation de la violence au cinéma, ni suffisamment crépusculaire ou politique pour donner le pouls d’une société en putréfaction.
Le film se veut une resucée d’un épisode de Rendez-vous en terre inconnue qui aurait dérapé.
Le pitch tient sur un post-it : un groupe d’activistes new-yorkais se rend en Amazonie pour manifester contre une entreprise de déforestation. Sur le chemin du retour, leur avion s’écrase en pleine forêt amazonienne et ils tombent entre les mains d’une tribu particulièrement hostile… C’est le moins que l’on puisse dire.
Le film, d’une heure quarante, se découpe en trois parties aux durées sensiblement égales.
La première partie se passe sur un campus où les protagonistes de l’histoire se rencontrent et forment un groupe en apparence soudé – ou tout au moins mué par le même engagement.
La seconde partie correspond à la partie activiste où les jeunes gens s’opposent aux affres du capitalisme et se confrontent aux premières fissures de leur engagement.
La troisième se résume à quarante minutes de boucherie plein cadre et au retour de ceux qui auront survécu.
Pourquoi cela ne marche pas ? L’un des nombreux problèmes du film est qu’il est programmatique : la première demi-heure dit tout de ce qui attend le spectateur.
A la fois sur les hors-d’œuvres : la jeune fille dont le père est un ponte de l’ONU ne serait-elle pas un objet de manipulation des activistes pour arriver à leur fin, les activistes sont-ils vraiment ceux que l’on croit ? Et l’on se met à parier sur ceux qui vont y passer les premiers, sans aucun risque d’erreur.
Mais aussi sur le plat de résistance : on étudie sur le campus l’abomination des excisions opérées dans les rites tribaux, les sévices et tortures infligées par les tribus lointaines…
Au bout d’une demi-heure, on sait tout et l’on attend péniblement l’arrivée des plats.
Chez Eli Roth, la terreur est dans le champ. On est loin de la puissance d’un Massacre à la tronçonneuse qui laissait la violence hors-champ pour se concentrer sur le son, la lumière, les décors, la mise en scène. Comme un brûlot définitif de l’Amérique post Vietnam et de ses monstres.
On prend donc tout dans les rétines sans aucun recul ou second degré, chers aux références du genre Evil Dead de Sam Raimi ou Bad Taste de Peter Jackson. Et c’est infect, vulgaire, mal intentionné et au final ridicule et d’un ennui profond. Les jeunes filles et garçons se font découper comme des poulets, cuire au four les uns après les autres et déguster par les indigènes locaux.
Le comble du mauvais goût revenant à l’un des activistes ayant emporté avec lui un bon paquet de Marijuana et décidant de bourrer le corps d’une de ses amies égorgées avant qu’elle passe à la cuisson, se disant que la tribu serait bien défoncée et ainsi moins réactive à une évasion du groupe. Sauf que la Marijuana, cela donne faim…
L’autre problème du film, c’est sa direction d’acteur. Le casting des indigènes a dû se faire dans les rues de Lima, à la sauvage et les pauvres gens retenus ne savent pas plus jouer qu’un premier venu. Recouvert d’une bouillasse rouge pour les rendre terrifiants, ils sont juste risibles. A l’image d’un bonhomme Cetelem qu’on aurait recruté pour une pub Charal.
Et les acteurs professionnels n’élèvent pas le niveau : la palme revenant à Sky Ferreira (qu’on aurait bien aimé voir se faire découper tellement elle exaspère) et à Ariel Levy, le bellâtre de sortie et rôle masculin principal, sorte de croisement entre Raul, le joueur espagnol, et Laurent Laffite. Tous ces jeunes gens déclament des dialogues bourrés de poncifs et froncent les sourcils ou miaulent face au danger.
Enfin, ce qui agace, c’est l’espèce de roublardise pseudo engagée d’un Eli Roth qui, au fond, se fout complètement des problèmes de déforestation et finalement de son propre film. A fuir donc.
Et pour une bonne bouffée de gore, revoir plutôt les premiers films de Peter Jackson ou de Sam Raimi, pour une bouffée de terreur profonde qui en raconte long sur nos névroses, préférer Tobe Hooper ou le Wes Craven de La dernière maison sur la gauche. Et pour se sentir vraiment mal à l’aise, revoir tout Friedkin ou Schizophrenia.
A bon entendeur.
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