Pour sa première réalisation, Eva Husson nous livre un film solaire. Chez elle, les nuages se muent en mouvants champignons atomiques dont les lumières chauffent les corps en recherche de moiteur et d’énergie. Ces corps, ce sont ceux d’une bande d’adolescents organisant des partouzes hors des temps de cours, dans l’attente de l’été. La cinéaste les a voulu beaux, blancs, lisses jeunes et fermes, si bien qu’il y a chez eux quelque chose qui relève d’un eugénisme candide. Censés appartenir aux classes moyennes de la côté basque, les garçons semblent plus échappés des podiums du marais et les filles des scènes rock du 16ème. Leurs faramineuses dépenses en ce qui concerne la coke et la MD en constituerait l’un des indices, a contrario de leur construction sociale prolétaire qui exhorte les garçons à un virilisme abscons et les filles à une soumission tristement instinctive.
Difficile à aborder en raison de ses ambiguïtés, Bang Gang (une histoire d’amour moderne) séduit avant tout par sa beauté plastique. Avant les corps et les lieux, Eva Husson filme des espaces avec une admirable fascination pour la géométrie qui n’est pas sans rappeler Naissance des pieuvres de Céline Sciamma. Œuvre s’intéressant également à l’adolescence et la révélation du corps et ses émois, le premier long-métrage de Sciamma se distinguait toutefois par un respect de l’intelligence des jeunes qu’il mettait en scène et dont Eva Husson semble parfois manquer. Chez cette dernière, les adolescents, archétypes férus aux nouvelles technologies ne peuvent être subtils et délicats. Au mieux font-ils preuve d’une dignité farouche, au pire sont-ils de parfaits idiots, poseurs et sans idées. Toute l’ambivalence de l’œuvre réside là, dans sa volonté de magnifier une période que la cinéaste semble observer avec autant de tendresse que de hauteur.
Libertaire avant de se montrer conservatrice, Eva Husson loue la beauté de la fougue et de l’énergie. L’amour qu’elle porte à ses jeunes acteurs est palpable et plusieurs pourraient se révéler au cours des prochaines années, à commencer par Marilyn Lima dont la prestation fait preuve d’une troublante maturité. Pourtant le film a-t-il besoin de coller un coup de pied au cul à la jeunesse qu’ils incarnent, par le biais de parents qui ne peuvent être que des vieux cons – Eva Husson jouant la mi-distance de la grande sœur – mais qui font loi lorsque sonne la fin. Le couple comme réponse aux bêtises de jeunesse et la maladie ou l’avortement promis à ceux qui ne céderaient pas à ses sirènes dérangent et laissent planer sur le spectateur un sentiment d’arnaque.
D’un film onirique, sensuel et d’apparence progressiste, nous nous réveillons par une morale conservatrice et peu curieuse. Et si nous crions au scandale, c’est que disloqué le film est beau. Eva Husson a la sens du plan, celui de la photo et la beauté de son image s’appliquerait avec aisance au Moins que zéro de Bret Easton Ellis. Ses comédiens, quant à eux, surprennent et s’engagent. Ce qu’ils montrent du désir et de la violence parle : des premiers gémissements de George, qui se mêlent à une musique électronique sensuelle, à la gifle qui inaugure l’une des premières séquences mettant en scène Lætitia ; cette gifle qu’aurait sans doute arrêté Eva Husson si elle s’était trouvée dans la pièce, n’excusant pas le geste mais le comprenant. Et c’est bien ce que nous reprocherons à la cinéaste, cette bienveillance candide de grande sœur, trop polie pour s’y atteler frontalement, mais qui – se sachant formellement brillante – aimerait secrètement et avec tendresse cadrer des cadets qui auraient pourtant tout à lui apprendre en termes de liberté. À défaut de réellement choisir un camp, une position, son film s’avère timide et diplomate et donne avant tout envie de lui offrir un para avant de l’inviter, elle-même, à quelques gaillardises.
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