The Revenant, la nouvelle démonstration en force d’Inaritu formatée pour les Oscar
C’est auréolé de trois Golden Globes (meilleur film dramatique, meilleur réalisateur et meilleur acteur dans un film dramatique) et autoproclamé archi favori aux Oscars, que The Revenant, le nouveau film d’Alejandro Gonzalez Inaritu, avec Leonardo Di Caprio et Tom Hardy, débarque sur les écrans français le 24 février 2016.
Adaptation du roman de Michael Punke, The Revenant : A novel of revenge, le film jouit d’une réputation sulfureuse du fait de ses conditions de tournage extrêmes, en lumière naturelle, dans les provinces canadiennes sauvages de la Colombie britannique et de l’Alberta, mais aussi du fait d’une œuvre dont l’accouchement fut douloureux.
Douloureux, parce qu’avant d’atterrir sous l’œil du réalisateur de Birdman, Park Chan-Wook, John Hillcoat et même Jean-François Richet avaient été pressentis.
Douloureux, parce que Tom Hardy a dû remplacer Sean Penn au pied levé, ce dernier ayant quitté subitement le projet.
Le film d’Inaritu n’est pas la première adaptation du roman éponyme puisque Richard C. Sarafian, le réalisateur culte de Point Limite Zéro, livrait Le Convoi Sauvage en 1971 avec John Huston et Richard Harris dans les rôles principaux.
Inaritu propose donc ici une relecture de deux heures et trente-six minutes, avec le style clinquant et « bigger than life » que nous lui connaissons et qui est le principal marqueur esthétique d’une œuvre pompière.
Hugh Glass (Léonardo Di Caprio) est trappeur. Il met ses services au profit d’une expédition dirigée par le capitaine Andrew Henry, négociant dans le commerce des fourrures.
Alors que la mission arrive à son terme, la troupe d’une quarantaine d’hommes est attaquée par les Indiens Arikaras qui massacrent la plupart de ses hommes et pillent le campement.
Hugh Glass et son fils, le jeune Hawk, se retrouvent à guider les survivants dans les paysages sauvages d’une nature inhospitalière, en essayant d’échapper à une mort promise.
Parmi les survivants, John Fitzgerald (Tom Hardy) s’oppose aux choix de Glass et les deux hommes vont violemment s’affronter jusqu’à ce que Glass, attaqué par un Grizzli, soit abandonné et laissé pour mort. À tort.
Le film raconte donc une histoire de résurrection, de poursuite et de vengeance au royaume des morts entre deux hommes en quête de liberté, l’un incarnant le bien et l’autre le mal.
Un sujet formidable déjà largement sublimé par Sydney Pollack dans Jeremiah Johnson, Jim Jarmusch dans Dead Man ou Werner Herzog dans Aguirre, la colère de Dieu.
Ces références sont bien présentes dans le film d’Inaritu.
Mais là où ces auteurs apportaient une dimension poétique ou mystique à leurs œuvres avec un souci naturaliste considérant leurs personnages comme des spectres, Inaritu fait du Inaritu et sort la grosse artillerie.
Le réalisateur, obsédé par le geste visible et acclamé, offre un melting-pot de tous les effets artificiels de son cinéma : plans séquences virtuoses et fabriqués, symbolisme sur-signifiant, image fantasmée pour s’élever à la hauteur de Malick, mouvements tonitruants, gros plans oubliant la distance, musique assourdissante pour mieux embrasser les ressorts dramatiques de son histoire, gouttes de sang projetées sur la caméra, buée obstruant les objectifs et enfin, une direction d’acteur tout en sur-jeu.
Le tout est indigeste pour les hermétiques aux ritournelles formelles infligées par le réalisateur, depuis Babel.
L’épaisseur du trait force la caricature et rend le film paradoxalement assez ennuyeux alors qu’il se voudrait une épopée lyrique, bestiale brassant les thèmes fondateurs de l’Amérique.
Ce que l’on retient du propos d’Inaritu est assez simpliste : l’Amérique s’est construite dans l’opposition de cultures tribales transcendées par la religion comme point unificateur et moteur de la rédemption.
Les hommes sont des bêtes et Dieu leur a montré le chemin. Ce n’est pas sans rappeler le positionnement un peu rance de Biutiful, l’histoire de ce personnage en chute libre sensible aux esprits trouvant la rédemption par la foi.
Au-delà de ces caractéristiques qui plombent le film, Inaritu offre, comme dans chacune de ses œuvres, des moments de sidération à forte persistance rétinienne.
Ici, quatre minutes d’anthologie qui marqueront sans doute cette année de cinéma. L’attaque de Hugh Glass par un grizzli pendant laquelle le réalisateur offre un condensé de mise en scène époustouflant. Innaritu atteint un degré d’effroi et le fait ressentir aux spectateurs avec force et nuance. La scène est implacable.
Autre moment de grande intensité, la chute d’une falaise d’un Hugh Glass à cheval, poursuivi par les Indiens. La mise en scène est sèche, tendue, littéralement vertigineuse.
Est-ce que quelques scènes, aussi réussies soient-elles, font un grand film ? La réponse est non, car elles sont noyées dans un continuum beaucoup trop indigeste.
Restent Léonardo Di Caprio et Tom Hardy. Sur le papier, c’est le couple d’acteurs dont on rêvait dans un tel film.
Si Léo fait le job en prenant ses distances avec Innaritu pour rester le plus juste possible, Tom Hardy incarne un personnage d’un bloc sans véritablement de failles ou d’ambiguïté, alors que sa trajectoire est sans doute tout aussi intéressante que celle de son alter ego.
Nous ne dévoilerons pas ici le plan final du film, mais il enfonce le clou du maniérisme outrancier et fabriqué du réalisateur.
Attendons-nous néanmoins à une moisson d’Oscar pour The Revenant. Le film est pensé pour cela.
Sortie en salles le 24 février 2016
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