Mysterious Object at Noon, le premier chef d’œuvre d’Apichatpong Weerasethakul sort en salle le 27 janvier 2016 en version restaurée, seize ans après les débuts du cinéaste et une Palme d’or plus tard.
Merveilleuse idée que la sortie en salle, le 27 janvier 2016, du premier film d’Apichatpong Weerasethakul : Mysterious Object at Noon, film fondateur d’une œuvre puissante et singulière.
On doit cette initiative au label cinéphile indépendant Capricci qui offre aux salles françaises une version restaurée dans son format d’origine (16mm/noir et blanc) par la Film Foundation, présidée par Martin Scorsese.
Le film est une sidération.
Reposant sur le principe du cadavre exquis, jeu collectif inventé par les surréalistes Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel à l’après-guerre des années 20, le réalisateur va à la rencontre de villageois de tous âges et de toutes classes sociales à travers la Thaïlande et leur demande de prolonger une histoire inventée que d’autres avant eux avaient commencée.
Dispositif de cinéma magnifique, car il permet au réalisateur d’explorer de manière vertigineuse les possibilités de la fiction en les faisant naviguer sur les principes de réalité du documentaire.
Alors que la fiction se consolide, les pans de réalité d’une Thaïlande en pleine crise financière explosent sous nos yeux et se suturent les uns aux autres par le regard sensible, avisé et poétique du cinéaste.
Apichatpong applique certes le cadavre exquis à sa narration fictionnelle, mais aussi à sa mise en scène adoptant les principes du Collage chers aux Dadaïstes, aux Surréalistes, aux Cubistes et immergent ainsi cinquante ans de pratiques artistiques dans le cœur de son cinéma.
Brillant. Et tellement cohérent avec cet artiste visuel majeur qui navigue allègrement entre installations artistiques visionnaires et objets filmiques depuis les débuts.
Ces principes de collage offrent donc un voyage élaboré dans le cinéma, mais surtout dans l’intime artistique de son réalisateur. La partie fictionnelle et narrative du film est construite à partir d’éléments de nature différente : interviewes avec les villageois, cartons de film muet, pièce de théâtre chantée, plans documentaires. Le film s’apparente finalement à un manifeste comme pouvait l’être le 8 ½ de Fellini.
L’envie de faire ce film est d’ailleurs née dans l’esprit du réalisateur lors d’une visite au musée, lorsqu’il a découvert des travaux d’artistes suivant le principe du cadavre exquis. » Je souhaitais faire un film basé sur un montage d’éléments hétérogènes, tout en m’interrogeant sur la façon de les unifier « , explique Apichatpong Weerasethakul.
« Il était une fois ». Ainsi commence le premier long métrage d’Apichatpong Weerasethakul. Cette promesse initiale marque le désir de conte, de poésie, de naturalisme qui jamais ne quittera l’œuvre du cinéaste.
Mysterious Object at Noon sème ainsi les graines d’une œuvre magistrale composée de huit films à ce jour, le dernier en date étant le fabuleux Cemetery of Splendour, sorti il y a quelques mois.
L’histoire du tigre sorcier qu’on entend à la fin racontée par les enfants sera la légende fondatrice de Tropical Malady tout comme les vies antérieures et les fantômes qui peuplent le film structureront le socle narratif d’Oncle Boonmee.
« Il était une fois ». La fiction se veut ici fascinante. L’histoire qui s’invente sous nos yeux est celle d’un garçon infirme qui découvre un beau jour son institutrice évanouie et une mystérieuse boule sur le plancher. La boule se métamorphose et prend soudain les traits d’un petit garçon, sosie maléfique de la jeune femme.
Lors de la sortie de Cemetery of Splendour, nous avions aussi perçu chez le cinéaste une veine politique plus concrète, plus évidente d’une Thaïlande en déconstruction rongée par les affres de l’occidentalisation donnant naissance à un nationalisme omniprésent.
Cette veine bien qu’estompée dans la plupart de ses autres films est bien présente dans Mysterious Object at Noon dans sa partie documentaire faisant d’Apichatpong un cinéaste engagé. Le contexte politique est très présent dans le film. Affiches électorales, déclarations du gouvernement parsèment aussi le chemin de cette épopée sociale dans une Thaïlande des bas quartiers.
Le film est donc à rattraper d’urgence et sanctuarise, s’il en était encore nécessaire, Apichatpong Weerasethakul comme un artiste important de notre siècle.
Note: