« Un ticket de métro, c’est moins cher qu’un ticket de cinéma. Alors si c’est pour retrouver au cinéma les dialogues du métro… Moi je n’aime pas quand les gens font semblant qu’il n’y pas de caméra. Je pense que la caméra est l’un des personnages. Elle est là, elle existe et elle se fait sentir ».
Tels étaient les propos que tenait Paul Vecchiali dans un documentaire que lui consacrait Serge Bozon pour Arte. Ce n’est pas avec son nouveau film qu’il se contredira.
Un an après Nuits blanches sur la jetée, le fringant réalisateur de quatre-vingt-cinq ans, par sa liberté dans le ton, le propos, la forme, affiche toujours une jeunesse que peu d’autres pourraient lui envier – l’occasion de rappeler les allusions de Godard à certains jeunes qui font des films de vieux (ou serait-ce l’inverse ?). Ce nouvel opus affirme en outre sa singularité par sa façon de se situer à l’extrême opposé du naturalisme omniprésent au sein du cinéma français actuel.
Odile s’est persuadée que Jean, son mari, la trompe. Elle se prend dès lors de passion pour Daniel, qui vit avec Albert. Le tout dans le décor du Plan-de-la-Tour, où Vecchiali vit et tourne. Il s’est entouré de nouveau d’Astrid Adverbe et de Pascal Cervo, son duo des Nuits blanches, pour jouer le tandem amoureux.
Sa mise en scène n’a rien perdu de sa rigueur. Ainsi, pour accentuer la rupture entre Odile et Jean, puis entre Daniel et Albert, va-t-il jusqu’à faire se répéter intégralement des scènes filmées de deux points de vue différents. La relégation hors champ de l’interlocuteur parachève formellement la cassure des couples. A l’inverse, peu de mots s’échangent entre Daniel et Odile, leur relation se noue lors d’une scène de danse enflammée avant qu’ils ne fassent l’amour sur la plage.
Les films de Vecchiali demandent à être aimés tels qu’ils sont, pots pourris de formes et de registres. La comédie le dispute au morbide ; des numéros chantés – constante chez l’auteur, comme un souvenir de son ami Jacques Demy – viennent casser le réalisme ; et il n’y a pas jusqu’à une parodie de L’Inconnu du lac qui ne s’invite au détour d’une séquence. Les mélanges donnent un film parfois un peu ingrat, qui n’a pas la beauté de Corps à cœur ou de Once More, mais le cinéaste pratique un cinéma qui n’appartient qu’à lui seul. Il n’y a que lui pour oser le mépris de la vraisemblance au profit d’une telle expression débridée des sentiments. L’audace dans les choix chromatiques, la mise en valeur du décor méditerranéen, font de C’est l’amour un film ensoleillé et chaleureux, rendu particulièrement attachant par la galerie bigarrée de personnage qu’il s’attache à montrer, invisible ailleurs sinon peut-être chez des cinéastes tels Guiraudie.
C’est un cinéma d’autant plus précieux qu’il est conçu dans la plus totale indépendance, loin des sentiers battus. Cette vision éprise de liberté avait présidé à la création par Vecchiali de la société Diagonale, qui produisit les films de Biette, Guiguet ou Treilhou. Un état d’esprit qui se perpétue par exemple chez des cinéastes tels Serge Bozon, ou bien Pierre Léon dont le magnifique Deux Rémi, deux, sorti la semaine dernière, est une autre occasion de constater l’étendue du talent du comédien Pascal Cervo.
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