Quid de Ionesco en 2016 ?
Comment faire vivre une « anti-pièce », symbole du théâtre de l’absurde, soixante-cinq ans après, en réactualisant les codes qui sont désormais généralement admis, avec lesquels le spectateur est globalement familier ?
Quelle pertinence aujourd’hui, d’un théâtre a priori vide de sens, dont les dialogues tournent en rond pour ne signifier que la vacuité de leur propos ?
Laurent Pelly, co-directeur du Théâtre National de Toulouse, a déjà mis en scène trois fois Ionesco et s’attaque donc cette fois-ci à La cantatrice Chauve, avec l’intention « d’ interroger sur ce qui reste de l’absurde dans la société contemporaine et de replacer l’extravagante banalité des mots de cette fantastique machine à jouer, cette comédie de la comédie dans un monde proche où nous puissions nous reconnaître. »
Le metteur en scène n’est pas coutumier de la demi-mesure, c’est un habitué des grosses productions, dont les deux précédentes, Le songe d’une nuit d ‘été et L’oiseau vert autorisaient des dispositifs scéniques dignes des plus grands blockbusters théâtraux. Pour La cantatrice chauve qui se joue dans la grande salle du TNT, il procède à la mise à l’échelle du décor de l’intérieur bourgeois de Mr et Mrs Smith à la dimension d’un plateau de vingt mètres de long, en jouant sur la profondeur plutôt que sur la largeur, et donc sur la perspective et la ligne de fuite.
Tapissé du sol au mur du fond d’une moquette aux motifs écossais, une quinzaine de fauteuils sont dispersés comme dans le hall d ‘un hôtel plutôt que dans un appartement. Sur le côté, le dispositif d’alarme sous la forme de rampes de lumières rouges termine d’enfermer les personnages, malgré les dimensions du décor.
On pourrait reprocher à Laurent Pelly cette tentation du gigantisme, mais il faut tout de suite admettre que la mise en place d’un tel décor, révélé après un générique sur écran géant, sert ici idéalement le propos, que ce soit dans la circulation des personnages dans l’espace et leur isolement, signifiant ainsi leur incapacité à communiquer et servant de ressort à des effets comiques à répétition judicieusement mis en scène.
Ainsi lorsque la sonnette annonce un visiteur, et que Mrs Smith se lève pour aller ouvrir la porte située en fonds de scène, ses allers-retours répétés entre son fauteuil et l’entrée, d’une démarche chaloupée de bourgeoise, ne peut que provoquer le rire de la salle.
Il faut saluer le talent des comédiens, dont le jeu oscille entre la comédie et une certaine forme d’angoisse, Laurent Pelly les dirigeant aussi beaucoup dans des postures qui tournent en ridicule les conventions sociales.
Le rythme de comédie ne faiblit jamais, c’est toute la force du texte de Ionesco quand il est bien mis en scène de sembler aller nulle part alors qu’il dit des choses sur la banalité du quotidien, l’absurdité des rapports sociaux, la tentation du repli sur soi et du tout sécuritaire… Choses auxquels Laurent Pelly ajoute quelques actualisations contemporaines bien senties sur l’envahissement de nos vies par les gadgets technologiques (partie très drôle de tennis virtuelle).
Non, inutile de bouder notre plaisir, cette Cantatrice Chauve est un pur régal.
Jusqu’au 26 mars au Théâtre National de Toulouse
Crédit photo : Polo Garat – Odessa
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