Si Liturgy est le groupe de Black Metal le plus détesté du milieu à cause de sa fausse prétention – justifiée via l’approche intellectuelle du genre théorisée par son leader Hunter Hunt-Hendrix -, Deafheaven souffre lui aussi, et depuis ses débuts, du même désamour. Formé en 2010, ce quintet Californien s’est très tôt démarqué par sa propension à mêler l’hideux propre au style popularisé par Mayhem ou Burzum dans les années 1990 avec une touche plus précieuse et Pop. Les mots-clés “ Deafheaven ” et “ hispter metal ” sont d’ailleurs parmi les plus fréquents sur Internet quand on cherche des informations sur le groupe. C’est pourtant faire preuve d’ignorance, car le duo initial, le chanteur George Clarke et le guitariste Kerry McCoy, a pendant longtemps galéré pour trouver un emploi, a même vécu un moment à la rue, et a enregistré sa première démo avec du matériel loué. D’où, peut être, l’attrait pour le beau, le solaire des côtes californiennes et des artifices du luxe, attrait que l’on peut ressentir dans les mélodies Post-Rock et presque Pop de certaines de ses compositions. Dream House, titre phare du premier chef d’œuvre, Sunbather, qui avait ébranlé 2013, représente parfaitement cette facette de la musique de Deafheaven, jusque dans les paroles criées par Clarke, où il partage ses rêves de richesse, non sans un regard critique sur ce désir superficiel.
Sunbather avait autant divisé en surface qu’en profondeur. L’album à la pochette rose exprimait l’envie de s’émanciper des poncifs d’un genre qui peine à accepter ses mutations. La musique quant-à elle parvient à exprimer la violence et la complexité du Black Metal, avec des couleurs plus lumineuses et une tendance à lorgner vers le Shoegaze de My Bloody Valentine. Plus de lâcher prise, de contemplation et d’émotions pour faire respirer une musique malgré tout oppressante et en souffrance. Pourtant, les premiers riffs de New Bermuda, troisième opus sorti en Automne dernier, sonnaient beaucoup plus Metal, rappelant les grandes heures du Trash de Slayer. Plus conforme à l’imagerie ténébreuse du genre, New Bermuda s’amusait pourtant encore plus à faire le grand écart au sein de ses cinq merveilleux titres. Come Back, possiblement la meilleure chanson du groupe, nous fait passer du Black Metal le plus extrême aux harmonies les plus aériennes d’un bout à l’autre des ses dix minutes et nous laisse pantois et admiratif. Début mars, ils venaient donc présenter leur nouveau bijou au Trabendo et prouver qu’ils savaient faire bouger leurs fans comme tout illustre artiste du Metal.
Belle idée des programmateurs d’introduire les Américains par une artiste montante venue du grand froid danois, Myrkur. Projet personnel d’Amalie Bruun, chanteuse indé ayant un certain succès au Danemark, elle avait sorti son premier album, M, l’année dernière. Beaucoup plus rétrograde que Deafheaven, la musique de Myrkur nage complètement dans l’imaginaire du genre : les forêts noires du Nord, la sorcellerie satanique et les corbeaux voraces. Mais sa faculté à faire passer son chant d’un état sauvage et démoniaque à un autre, plus cristallin et angélique, ainsi qu’une certaine nostalgie de ces temps immémoriaux font de Myrkur un projet qu’on veut voir grandir. Hélas, le live fut décevant justement parce que la voix d’Amalie fut inaudible, étouffée par le brouhaha des riffs et de la batterie.
Si l’on craignait à raison que le même défaut frapperait la prestation de Deafheaven, d’autant que les petites variations des mélodies ont vraiment leur importance au sein des compositions, il n’en fut heureusement rien. Enchaînant un-à-un les titres de New Bermuda, dans l’ordre exact de l’album, le groupe révéla toute la puissance de sa musique en concert et surtout son absolu miracle : nous faire passer brutalement de l’ombre à la lumière, sans jamais paraître ridicule. La maestria des musiciens, appliqués et en totale cohésion n’avait d’égale que la passion de George Clarke pour les moindres parcelles sonores de son art. Une envie communicative qui se propageait chez le public, timide au début, totalement déchaîné à la fin et déçu de devoir rentrer chez lui. Clarke faisait d’ailleurs beaucoup participer ses fans, leur donnant son micro, les emmenant sur scène avant de les renvoyer ou en faisant un “ slam ” à son tour.
Un concert plein d’émotions donc, où des titres comme Baby Blue ou Gift To The Earth, plus sensibles, tenaient la dragée haute aux bourrasques destructrices de Brought To The Water ou Luna. Enfin, le groupe effectua un rappel dantesque, jouant les deux morceaux phares de Sunbather, son titre éponyme et la déjà mythique Dreamhouse. Des chansons reprises en chœur par un public acquis à la cause de ces artistes si jeunes (six ans de carrière) et pourtant déjà bien établis au sein de la galaxie musicale contemporaine. On attend le nouveau voyage que nous proposera Deafheaven dans son quatrième opus, avec impatience et frissons.
Note: