Avec Les Habitants, Raymond Depardon offre un portrait foudroyant de la France exacte.
Derrière ses apparats modestes, plein de douceur, Les Habitants est avant toute chose un film de combat, un film de réaction et un choc.
20 ans après Afriques : comment ça va avec la douleur ?, le cinéaste et sa femme productrice Claudine Nougaret, souhaitaient retourner au Tchad. Un retour aux sources sur un continent dont on connaît les liens étroits entretenus avec Raymond Depardon.
Et puis les attentats de Paris en janvier 2015 ont tout changé.
Raymond Depardon a senti l’urgence de se mettre à la hauteur des gens, de la vie, des territoires. Faire l’état des lieux de la France exacte, celle que l’on ne représente jamais à l’écran.
Depardon décide de prendre la route par les départementales du nord au sud, de Calais à Fréjus en passant par Morlaix, à la rencontre des visages, des accents, des conversations.
Sur la musique pétillante d’Alexandre Desplat, il visite tel un omnibus les villes et villages de taille moyenne qui peuplent la France.
Le dispositif est minimaliste. Une petite caravane équipée d’une caméra, plantée au cœur des places, accueille deux personnes croisées par hasard auxquelles il est demandé de continuer leur conversation alors interrompue par le cinéaste.
La caravane, c’est le photomaton, la prise d’un instantané, le cliché d’un moment furtif, d’une part de vie. 30 minutes de prise en 35 mm dans chaque territoire pour chacun des 4 à 5 couples invités à discuter de profil devant la fenêtre de la petite cabine avec l’image de la ville comme seule profondeur de champ.
Le film est une sidération car il capte la résilience de ces gens touchés en plein cœur par l’âpreté de la vie.
L’amour, la séparation, les études, la solitude, la différence, le rejet, l’échec, la marginalisation, le travail, l’absence de travail sont les points saillants de ces conversations brassées pendant 1h24 avec une justesse exceptionnelle.
On y fait la rencontre d’une jeune femme qui veut réussir ses études de médecine et qui se confronte à sa mère plus traditionnaliste. On y entend la solitude d’un vieil homme qui doit tout réapprendre parce que sa femme est partie pour toujours. On scrute la pudeur obscène de jeunes adolescents réfugiés dans la banalité d’un quotidien par peur de devenir des adultes.
Et puis on entend ces femmes abandonnées, laissées à la précarité par leurs hommes, qui n’ont d’autres obsessions que de s’en sortir, de combattre les injustices de la vie, de donner une vie meilleure à leurs enfants.
On y voit un Depardon féministe, sans concession, clairvoyant, du côté de la vie.
A la manière d’un train intercité, pas toujours en très bon état, Depardon nous dit que cette France n’a besoin que d’une seule chose : que l’on s’en occupe.
Note: