Julieta de Pedro Almodovar : un saisissant portrait de femmes transpercé par la culpabilité et la fuite du temps. En compétition officielle au Festival de Cannes 2016
Dès le premier plan du film, nous savons qu’Almodovar va revêtir ses habits Hitchcockiens pour tisser un mélodrame grave et fragile comme un contre champs à Marnie, L’inconnu du Nord-Express, Les enchaînés ou Rebecca.
Cette première scène, c’est un morceau de tissus rouge filmé en gros plan, qui prend les allures d’un cœur qui palpite frénétiquement, mécaniquement, obstinément au son mystérieux de la musique d’Alberto Iglésias.
Sous l’étoffe, on découvre Julieta qui s’apprête à quitter Madrid pour le Portugal. « Merci de ne pas me laisser vieillir seul » lui glisse Lorenzo, son compagnon de vie.
Julieta veut tourner la page d’une existence où la fatalité des événements, les hasards qui déterminent les choix, les rencontres fortuites, n’ont jamais permis à Julieta de garder le cap de sa vie.
Partir au Portugal et ne plus jamais revenir à Madrid, exhorte-t-elle.
Jusqu’à cette rencontre soudaine avec Béa au détour d’une rue madrilène. Béa, amie d’enfance d’Antia, sa fille qu’elle n’a plus revue depuis 12 ans, la pousse à changer ses projets.
Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec Antia et décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours.
En flashback, par le prisme de ces écrits, Almodovar nous livre l’autopsie des liens familiaux, de ce mystère insondable qui pousse à abandonner les êtres que nous aimons en les effaçant de notre vie comme s’ils n’avaient jamais existé.
Le film est fascinant par son dispositif. Car dans les premières vingt minutes, le spectateur sait précisément où cette autopsie va mener les personnages. Et c’est donc la mécanique des sentiments et de la culpabilité qui donne toute sa tension dramatique au film.
Motif hitchcockien par excellence, les souvenirs de Julieta commencent dans un train. Un train fantasmé où Julieta, jeune, va rencontrer un homme, puis deux. Ce train va être déterminant dans l’aiguillage de la vie de Julieta. Le premier homme meurt et l’autre lui donne un enfant.
La culpabilité habite l’esprit de Julieta. Une culpabilité qui va se démultiplier au fil des événements tragiques auxquels elle sera confrontée. C’est le motif central du film.
Les personnages du film d’Almodovar sont habités par ce sentiment jusqu’à les irradier des stigmates de la mort et de la folie, à les effacer de ce qu’ils sont au plus profond.
Ce qui frappe, c’est son caractère irréversible comme une mécanique morbide qui fauche chaque parcelle de vie qui sommeille en nous et qui se transmet comme un virus à tous ceux que l’on aime.
Jamais au cinéma, le regard de l’adieu avait été filmé avec autant de puissance. Almodovar filme l’adieu comme personne. Un adieu entre une mère et sa fille, un adieu entre une femme et son amour absolu, un adieu entre un père et sa fille, un adieu à la vie.
Ces adieux marquent la conscience de Julieta et voyagent avec elle, comme dans ce train mythologique qui marque le passage du temps, le destin de la vie.
La fin du film reste ouverte. C’est le passage chromatique du rouge irradiant du film au bleu apaisant de son épilogue qui nous laisse penser que la fatalité n’est pas le diktat du destin.
Avec Julieta, Pedro Almodovar est au sommet de son cinéma. Espérons que Cannes saura le remarquer.
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