À l’orée de la rentrée 2011, la collection Blanche de Gallimard accueillait en son sein un journal, Dans les forêts de Sibérie, à travers lequel Sylvain Tesson retraçait ses « Six mois de cabane au Baïkal ». L’auteur-aventurier s’y confiait quant à sa volonté de s’isoler au milieu des livres, dans un paysage grandiose et potentiellement hostile, avec pour seule compagnie quelques bouteilles de vodka et deux chiots recueillis en chemin. Digressions et réflexions émaillaient sa prose, desquelles nous retiendrons peut-être une image relative à cette « solitude, patrie peuplée du souvenir des autres » dont il se faisait volontiers passeport.
De cette solitude-sentiment qu’explorait Sylvain Tesson, capable de s’émouvoir d’un oiseau, d’un peu de givre ou de quelques mots, Safy Nebbou, réalisateur de l’adaptation, fait le choix de ne rien garder, si ce n’est en introduction. Si son travail de reconstitution de la cabane de Tesson et la beauté des images qu’il nous livre du Baïkal font montre d’un amour fidèle pour l’univers de l’auteur, le cinéaste admet se livrer à une libre interprétation qui ne peut s’empêcher de céder à la tentation romanesque. A la lenteur se substitue donc la nécessité, celle de la survie mais aussi celle d’une belle amitié entre l’homme des villes et celui de la forêt, incarné par un russe en cavale. L’histoire, belle, émouvante et digne, s’apparente néanmoins à un artifice, à la façon dont elle semble traduire une incapacité du cinéaste à capter l’essence solitaire de l’œuvre. Or, si le cinéma est un art de l’artifice, il est aussi un art de la narration par l’image, qui pouvait tout à fait se défaire d’une obligation de péripéties comme – et suivant uniquement cette logique – des très jolis morceaux composés par Ibrahim Maalouf pour accompagner le film.
Toutefois, la trahison du matériel original que constituait le journal de Sylvain Tesson n’empêche jamais le long-métrage de Safy Nebbou d’émerger des glaces du Baïkal à travers un même sentiment de quête intérieure. A l’image de l’auteur-aventurier, le personnage de Teddy, qu’il dessine, se retrouve par cette nature qui le confronte à sa condition humaine. Le rapport de force existe, le besoin d’une symbiose aussi. Il faut alors les lumières de Georges Bataille, à travers L’expérience intérieure, pour comprendre la façon dont la trahison de Nebbou ne vise qu’à favoriser le renouveau de l’incarnation : « Je ne suis et tu n’es, dans le vaste flux des choses, qu’un point d’arrêt favorable au rejaillissement ».
Dans le film du cinéaste, c’est bien l’esprit de l’écrivain qui rejaillit, puis se déploie, sur un lac Baïkal qu’ils ont exploré et aimé, tour à tour mais d’un même souffle. Par la prolongation fictive de l’histoire réelle de Tesson, Nebbou invite en creux le spectateur à poursuivre l’exploration, non pas du cinéma – qui ne lui sert que de moyen – mais des terres, qui constituent ici sa fin. Cette réactualisation des Forêts de Sibérie, mieux que le documentaire réalisé auparavant par l’auteur lui-même, accomplit ainsi sa fonction de brillante manière : cinéma de passeur, invitation au voyage.
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