Lorsque le miel à un goût de cendres.
La mort est à la mode. L’apothéose de la douleur, le triomphe de la souffrance, l’éloge de la perte. Et lorsque les lumières se rallument tandis que notre joie s’obscurcit, on se demande, de façon légitime si l’industrie cinématographique ne serait pas sponsorisée par Kleenex. Aspirons une grande bouffée d’air. Supplions là de nous être salvatrice.
Avant toi est l’adaptation du roman éponyme, écrit par Jojo Moyes, romancière britannique qui revêtira également le rôle de scénariste pour ce long-métrage. Le récit nous emmène au cœur d’un paysage empli de charme et d’enchantement. Un village sucré dominé par un château typiquement anglais. Ce décor à quelque chose d’irréel tant sa beauté nous semble chimérique, faisant écho à un univers Disney type La Belle et la Bête. Sauf que l’héroïne ne vit pas dans une adorable chaumière mais dans une maison rurale moderne, avec toute sa famille. Lou (Emilia Clarke, la célèbre Mother of Dragons dans Game Of Thrones), pétillante jeune femme, aussi rayonnante qu’un soleil à son zénith. Aussi nos yeux se plaisent quelques instants à la contempler avant de cligner douloureusement les paupières, tant les rayons sont véhéments. Trop de couleurs, trop de mièvreries, trop d’arabesques, trop de sirops, trop de sucres. On frôle le diabète
A l’exact opposé, nous avons Will Traynor (Sam Claflin de la saga Hunger Games). Ancien homme viril et sportif qui voit sa vie se dérober lorsqu’une moto le percute, le rendant alors tétraplégique. Évidemment, Will est également le propriétaire du château, riche héritier. Pourquoi ne voit-on jamais de personnes handicapées issues de la classe inférieure (Cf Intouchables, l’Homme de chevet) ? Will est cynique, désabusé, funeste. Il prévient ses parents de son choix inexorable, dans six mois il partira en Suisse pour se faire euthanasier. L’enthousiaste de Lou parviendra-t-elle à le faire changer d’avis ? L’enjeu est révélé dès le début. Six mois pour le sauver. Six mois pour prouver que l’amour peut guérir. Que la vie n’est pas vaine, qu’il faut toujours continuer le combat. Six mois pour retrouver son émerveillement perdu.
Quelle est l’antidote du spleen ? Certains disent que c’est l’idéal.
Ce n’est pas tant le récit en lui-même qu’il faut blâmer mais les choix de mise en scène de la réalisatrice Thea Sharrock. En décidant d’user des spécificités classiques des comédies romantiques telles que les séquences de musique pop et girly, le montage nerveux et elliptique, la romance qui fleurit, le choix des acteurs pour cibler un public adolescent. Le tout est assemblé, secoué ensemble et filmé sous le prisme de l’humour. Un humour frais et léger. Cet humour profondément optimiste qui garantit presque un Happy End. Inconsciemment, nous reconnaissons les codes auxquels nous sommes habitués dans ce genre d’œuvre. Et c’est là justement, que nous nous faisons cruellement berner. La rencontre, la séduction, l’amour, la dispute. Regardons notre montre, il reste vingt minutes. La réconciliation ne devrait pas tarder à arriver. Et bien non, la réconciliation est troquée par la mort. Une mort trop brutale, âpre. Une mort que l’on devait éviter dès le début, une mort dont on se sépare au fil des minutes tant des indices sont dévoilés avec les propos de la mère « Avant toi, il n’avait jamais ri comme ça », « Avant toi, il ne s’était jamais rasé », de l’aide-soignant « Je veux qu’il vive ».
Il suffit de si peu pour se sentir en vie.
Ce traitement atrophie notre jugement car la détresse de Will – véritable sujet du roman – est complément occultée au profit de la tendresse amoureuse des deux personnages et de leurs échanges de sourires niais et béants. Son désarroi, son quotidien insupportable, ses douleurs physiques et morales sont mises de côté tandis que sa souffrance, trop édulcorée, nous paraît abstraite et décrédibilise sa décision finale. On ignore qu’il endure, qu’il se débat, qu’il implose. On ne comprend pas son choix, on s’en insurge. Pire, on cultive une illusion. Et le ciel vire couleur charbon. Où est l’espoir ? Où est le sens ? L’euthanasie, ce débat –aussi délicat soit-il- est avorté dès le début car la mise en scène refuse d’être neutre. Et même si les œuvres d’arts peuvent parfois être de puissantes catharsis, ici, le pathos atteint un paroxysme si effarant en nous faisant croire jusqu’à la dernière seconde que l’espérance est permise pour finalement nous l’arracher sans anesthésiant, que même nos larmes ont un goût cruellement amères.
Note: