Avec The Strangers, Na Hong Jin livre un thriller poisseux et onirique mais aussi une subtile métaphore de la société coréenne.
Après les ruelles étroites de Séoul dans The Chaser, son premier film, et les paysages arides de Yanbian dans The Murderer, Na Hong Jin nous plonge dans un village rural isolé en décor naturel : Goksung, qui donne aussi son titre original au film.
Goksung est certes une province coréenne existante où l’obscurité des lieux engendre un climat de suspicion et de terreur mais il signifie également « le chant des pleurs ».
Le film oscillera sans cesse entre images saisissantes de vérité et métaphores chamaniques empruntes d’angoisses persistantes. Un basculement millimétré entre rationnel et irrationnel dans lequel deux versions du mal s’affrontent.
Deux ans d’écriture, six mois de tournage et un an de postproduction pour donner au film sa puissance et son réalisme total loin des décors urbains habituels.
Epaulé par Hong Kyung Pyo, le chef opérateur de Bong Joon Ho sur Mother et Snowpiercer, Na Hong Jin livre son film le plus maîtrisé en terme de mise en scène et de composition des images.
L’histoire débute donc dans un petit village coréen. La vie de ce village se retrouve bouleversée par une série de meurtres, aussi sauvages qu’inexpliqués, qui frappe au hasard la petite communauté rurale.
La présence récente d’un vieil étranger qui vit en ermite dans les bois attise rumeurs et superstitions.
Face à l’incompétence de la police pour trouver l’assassin, certains villageois demandent l’aide d’un chaman.
Pour Jong-gu, policier dont la famille est directement menacée, il est de plus en plus évident que ces crimes ont un fondement surnaturel.
Premier tour de force, Na Hong Jin fait de son personnage principal, un anti héros. Policier bedonnant, naïf, picoleur, fragile, Jong-Gu est d’une vulnérabilité déconcertante et contagieuse pour le spectateur. Il est la courroie de transmission d’une angoisse de plus en plus lourde en ayant toujours un train de retard sur les événements.
Second tour de force, le cinéaste pose son ambition.
Si la Corée du Sud, si foisonnante il y a une dizaine d’années pour ouvrir de nouvelles brèches dans la cinématographie mondiale, se fait rattraper par les affres de la mondialisation et de films très formatés, Na Hong Jin n’a pas peur et se pose comme un des derniers mohicans. Tout est question de regard et d’influence. Ici pas d’énième Hollywood, mais des références directes à Stanley Kubrick (Shining) et William Friedkin (L’exorciste). Et ça marche.
Troisième tour de force et pas des moindres, la puissance de la mise en scène déjà évoquée qui devient paroxystique dans cette séquence de chamanisme hallucinante qui voit les esprits s’affronter.
C’est dans cette évocation que le film livre son cynisme le plus acerbe. Car derrière les esprits, on y lit une critique sèche de la société coréenne. Une société perdue entre égoïsme du quotidien et diktat des esprits sournois qui capitalisent sur les peurs d’une société qui se recroqueville.
Enfin l’écriture est brillante. Le surnaturel est un genre difficile qui peut souvent tomber dans la démonstration kitsch qui laisse le spectateur sur le bord de la route.
Ici la mécanique du film se concentre sur les phases de transition, les moments de bascule. A aucun moment le film ne perd son réalisme même en incarnant de manière explicite le visage du diable.
Parce que le film se veut avant tout chose, un film sur la vérité. La force du film est d’arriver à passer du rationnel à l’irrationnel, touche par touche, pas à pas.
Quand l’épilogue se révèle, à la manière du Seven de Fincher, nous sommes abasourdis et sous le choc.
Le film était présenté Hors Compétition au dernier festival de Cannes. C’était un moindre mal. Il restera comme un film qui compte cette année et confirme que Na Hong Jin est un auteur dont on attend avec impatience le prochain film.
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