Vous êtes-vous précipité dans les salles obscures lors de la sortie du quatrième opus des aventures de Jack Sparrow ? N’avez-vous fait qu’une seule gorgée (de rhum) du premier roman de Jean-Philippe Jaworski, Gagner la guerre ?
Dans l’affirmative, ruez-vous chez votre librairie favorite pour acheter prestement Le déchronologue , quatrième roman de Stéphane Beauverger.
Nous sommes en 1640, l’âge d’or de la piraterie dans les Caraïbes. Ces mers éponymes découvertes par Christophe Colomb cinquante ans auparavant, sont le théâtre d’opérations militaires et politiques majeures autour de la sécurisation des voies maritimes vers le nouveau monde et ses territoires gorgés de métal précieux. Espagnols, Anglais, Français et autres Hollandais se livrent ici des batailles sans merci pour le contrôle des précieuses iles d’Hispanola, de Tortuga, de Porto-Rico ou encore de Saint Christophe.
Mais l’or n’est pas le seul centre d’intérêt de nos boucaniers téméraires. Un autre commerce fait fureur, celui des mystérieuses «conservas» et autres «maravillas» – outils, batteries et autres objets directement importés du futur – qui ont le pouvoir de faire et défaire les puissances locales. On voit même des Indiens mayas éliminer les colons espagnols grâce à de puissantes armes ultramodernes. Le cours de l’histoire risque de s’en trouver modifié…
Bardé de récompenses et de prix divers à sa parution en 2009 (Grand prix de l’imaginaire, prix du Lundi, prix Bob Morane, etc.), on comprend rapidement les raisons de cet engouement collectif après avoir parcouru les quelques premières pages.
Le personnage principal – le capitaine Henri Villon – est d’une épaisseur remarquable, le contexte historique est aussi documenté que rigoureux, le verbe est haut, la faconde y est joyeuse, les drilles rencontrés (vous n’oublierez pas de sitôt le grand Fèfè de Dieppe) sont hauts en couleur, le propos est ambitieux et l’histoire est haletante.
Puisque le thème principal de ce roman est le temps et ses porosités, Stéphane Beauverger présente ici un récit chronologiquement non linéaire (quoi de plus normal quand il s’intitule Le déchronologue). L’auteur nous invite donc à nous perdre dans un véritable labyrinthe temporel, un puzzle antidaté où le lecteur se retrouve à assembler maladroitement les pièces du récit, chapitre après chapitre. C’est totalement frustrant, voire déroutant pour les premiers chapitres, mais aussi redoutablement efficace : le rythme de la lecture s’accélère inexorablement au fil des allers-retours dans le temps.
Les aventures de Villon sont aussi le prétexte à de belles réflexions autour de la science et du temps qui se transforme en mémoire pour se finir en «histoire» (du moins celle que les hommes retiennent). Une science comme vecteur de «progrès» et de salut. Une science comme succédané d’une spiritualité vacillante, dont l’horreur des colonisations successives a sûrement accéléré sa désaffection. Une histoire de la colonisation dont certains, aujourd’hui encore, ne retiennent que ses bienfaits…
«Le temps est un escroc… l’histoire est une catin… Une illusion infinie qui n’a de sens que pour ceux qui y baignent…»
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