Mathieu Kassovitz a besoin de sujets forts pour donner la pleine mesure de ses talents de metteur en scène, de conteur et de polémiste. C’était le cas de La Haine, film coup de poing sur le malaise des banlieues et culte de toute une génération, ainsi que d’Assassins, film sur la transmission de la violence et charge au vitriol de la société des médias. Enfant terrible du cinéma français dans ces circonstances, Mathieu Kassovitz sait aussi manifester ses capacités de technicien et ses compétences de réalisateur de divertissements, comme ce fut le cas pour Les rivières pourpres dans le registre du thriller et de Gothika dans celui du cinéma d’horreur. Mais il n’est cependant jamais meilleur que quand il provoque la controverse, suscite le débat. On l’avait laissé moribond à la suite de Babylon A.D., naufrage artistique où il s’est retrouvé piégé entre une relation conflictuelle avec son acteur principal, Vin Diesel et un studio sourd à ses appels au secours. Il y avait pourtant dans le roman de Maurice G. Dantec de quoi permettre un grand film, conte philosophique, technologique, religieux et politique. Mais le pari était sans doute trop ambitieux que de vouloir adapter tous les niveaux de réflexion du livre sur grand écran.
On retrouve avec L’ordre et la morale un Mathieu Kassovitz engagé qui a parfaitement mesuré le potentiel à la fois politique, humain et cinématographique d’un sujet tombé dans les oubliettes de la mémoire collective, les événements de la grotte d’Ouvéa. En 1988, en plein entre-deux-tours de l’élection présidentielle qui opposait Chirac à Mitterrand, 27 gendarmes sont pris en otages par des indépendantistes kanaks en Nouvelle-Calédonie. A quelques jours du scrutin, un assaut est ordonné pour régler la situation alors que les négociations menées par Philippe Legorjus pour le G.I.G.N. étaient en passe de trouver une solution de sortie de crise. En 2 H 15, Mathieu Kassovitz réussit l’exploit de rendre compte de ce dossier lourd et complexe de façon intelligible et parfaitement lisible, malgré une masse d’informations, d’enjeux et de personnages considérable. En se plaçant du point de vue central de Philippe Legorjus, il analyse les différents sphères qui sont intervenues dans cette crise – l’armée, le GIGN, la politique et les Kanaks -, sans caricature ni simplification.
Le réalisateur n’est toutefois pas tout-à-fait neutre dans son point de vue, se situant clairement du côté des kanaks. Si de nombreuses zones d’ombres persistent quant aux circonstances de l’assaut, Mathieu Kassovitz suggère que des exécutions sommaires ont eu lieu a posteriori, justifiant ainsi le nombre élevés de victimes parmi les preneurs d’otages. Le contexte plus global précédant les événements ainsi que les raisons de la présence métropolitaine sur l’île, liées à la présence du nickel, ne sont pas explicitées clairement. L’ordre et la morale permet ainsi à l’exemple kanak d’accéder à une valeur universelle. Celle de tout peuple luttant pour des valeurs culturelles et identitaires contre le pouvoir des dirigeants dictés par des intérêts strictement économiques. Plus de vingt ans après les événements d’Ouvéa, au regard de la crise financière et énergétique que traverse le monde actuel, le message véhiculé par le film n’en est que plus percutant et difficilement contestable.
Mais au-delà de son aspect de «film dossier» ou de sujet à thèse, L’ordre et la Morale est surtout et avant tout un grand film de cinéma, dense, nerveux et spectaculaire. Mathieu Kassovitz, s’il se met entièrement à la disposition de son sujet n’en oublie pas pour autant de produire de la mise en scène. Du flash forward initial tourné à l’envers, en passant par l’attaque de la gendarmerie et l’assaut en plans séquences, la réalisation évite la surenchère tape à l’œil pour servir le récit, c’est-à-dire aller d’un point A à un point B de la manière la plus adéquate possible. Mathieu Kassovitz nous rappelle au passage qu’il est aussi un très bon acteur, ce qui n’est malheureusement pas le cas de toute la distribution, pas intégralement professionnelle et qui souffre d’une direction un peu aléatoire.
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