Anne vit seule dans un appartement sordide à Bordeaux et travaille dans une cuisine de collectivité.
Le premier plan qui nous présente le personnage la montre dans l’obscurité, en contre-jour, tel un fantôme. Il faut dire qu’Anne a l’air d ‘être absente au monde, refuse le dialogue dans un mutisme obstiné. Sa démarche est lourde, son quotidien rythmé par les tâches matérielles, physiques. La parole est quasi absente de ce début de film, la communication est un échec : des messages sont laissés sur des répondeurs, on parle à des portes croyant son interlocuteur de l’autre côté, quand Anne rencontre un inconnu, un soir, son discours n’est pas audible, la scène filmée de l’extérieur du bar où le couple boit un verre.
Anne a l’air incapable de ressentir la moindre émotion, d’établir un contact. Elle semble souffrir, mais ne sait pas pleurer. Sandrine Kiberlain est de tous les plans, magnifique composition d’actrice, la caméra ne la quitte jamais, elle l’accapare de sa présence, silencieuse, lourde.
Il y a quelque chose qui relève du cinéma japonais dans ce système minimaliste voulu par Yves Caumon, une certaine forme d’économie de moyens, la longueur des plans, la pudeur des sentiments. Car le chagrin dont souffre Anne a un nom : le deuil, celui d’un enfant, mais il n’est jamais signifié explicitement au spectateur.
Du cinéma japonais également, une manière de poésie fantastique (l’apparition de l’enfant dans la maison de campagne) et l’importance de la nature, ici un oiseau qui va permettre à Anne de renaître à la vie et l’eau comme élément matriciel. Le film rejoint dans cette force symbolique celui de Mia Hansen Love, Un amour de jeunesse où les séquences de baignade venaient ponctuer le parcours de Camille, comme des étapes également nécessaires à son deuil, amoureux.
Ce film au sujet difficile, où on ne dit pas ses sentiments, n’est pas d’un abord évident. Il faut faire un effort pour y entrer, ne pas se laisser décourager par sa symbolique parfois trop signifiante (Anne qui dort sur son matelas par terre comme dans un nid, l’image du pont comme passage entre deux états), et l’apprivoiser comme ce volatile qui finit par se servir d’Anne comme d’un perchoir. En forme de récompense, L’oiseau offre un beau portrait de femme et une superbe prestation de Sandrine Kiberlain, fragile et ténue. Si seulement nous avions, le courage des oiseaux…
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