Versatile Mag : Sandrine, qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce rôle ?
Sandrine Kiberlain : En refermant le scénario, c’était une évidence que je voulais jouer cette femme. Le film parle d’une chose qu’on craint tous. Ça arrive à beaucoup d’être confronté à une souffrance insurmontable et on ne soupçonne pas les ressources qu’on a en soi et qu’on va trouver. Ici, ce sont des rencontres qui font qu’elle va renaître. Ce que j’aime dans ce personnage c’est que rien n’est dit d’elle, on apprend des choses sur elle par les autres. J’aime ces films où le spectateur a un effort à faire. Il faut cheminer avec le personnage, faire le voyage avec elle. J’avais dit à Yves que je voulais qu’on ne parle jamais du deuil, sinon, j’aurais été incapable de le faire. Je me suis mis le plus gros chagrin en tête pour jouer ce rôle, mais on n’en a jamais parlé. Le mystère est plus beau.
Yves Caumon : Je pense que moins on en dit, mieux c’est. Mon hypothèse sur le personnage était que, quand on a un choc très fort, on n’arrive pas à le prendre en charge, on n’arrive même pas à souffrir, à ressentir les choses, on est dans un état de stupéfaction. C’est comme une anesthésie. Le personnage d’Anne ne comprend plus la vie. Il pense jute à fonctionner, à retrouver la paix, en se protégeant du monde. C’est vrai que nous n’en avons pas parlé sur le tournage avec Sandrine, mais je pense que le fait de ne pas dire les choses permet de les vivre plus longtemps, c’est comme un secret.
Pourquoi avoir tourné ce film à Bordeaux ?
Y. C. : Bordeaux, c’est comme une ville d’exilés. Quand j’étais jeune, je voulais créer une association qui se serait appelée «Les marins à terre». Il y a un peu cette impression dans cette ville. C’est une ville incroyable, c’est raturé, mal fichu, en friche, j’aime bien ça. Il y a un côté Liverpool ou Glasgow, portuaire. Et puis ça me permettait de filmer la Garonne également. Mon moment préféré du film est ce dernier plan qui remonte le fleuve. C’est un tour de force, on quitte le personnage, c’est un moment lyrique pour moi, sentimental. Anne n’est plus là, mais elle est là, on ressent sa présence, c’est comme un voyage intérieur.
Le rapport à l’eau est très important, c’est très japonais, symbolique.
Y. C. : Je voulais que le générique de début, ce plan sur la marre dégage une impression de sérénité et soit aussi la promesse qu’on va sortir dehors à un moment donné, dans un film où on est beaucoup à l’intérieur. L’idée de surface m’intéresse aussi. C’est comme un paradis perdu, le passé et le futur. C’est une pure image, une métaphore du film, sa formule, qui est donnée au spectateur d’une manière poétique, sensitive.
Le rôle d’Anne est tout en retenue.
S. K. : C’était une évidence qu’Anne n’était pas quelqu’un de démonstratif. On a voulu qu’elle reste solaire, pas dans la plainte ou la complaisance. Elle est dans quelque chose de mécanique, sans émotion. Elle est très sensible à chaque chose qui peut la ramener à la vie. Le temps passe différemment pour elle.
Y. C. : Ce qui m’intéressait, c’etait de montrer comment on se conduit quand on est tout seul. On n’est pas en représentation. Liepzig disait qu’on est automate pour les ¾ de nos actes. L’acteur devrait jouer pour lui-même, pas pour montrer au spectateur. Je tolère de moins en moins chez les acteurs le côté explicatif, ceux qui se prennent pour le scénariste.
Que représente cet oiseau ?
Y. C. : Selon moi, l’oiseau n’est pas un symbole. C’est juste un animal, c’est-à-dire un être impassible, neutre, indifférent à nos malheurs, qui a sa propre pensée impénétrable, mystérieux. Dans le film, c’est un miroir, Anne projette des choses sur cet oiseau, c’est du transfert, elle voit qui elle est à travers lui. Quand l’oiseau se pose sur Anne, elle est surprise, elle renoue avec quelque chose. C’est un des rares moments où elle a un contact physique avec son environnement.
Comment avez-vous travaillé la communication dans le film ?
Y. C. : J’aime beaucoup dans le cinéma quand il y a des moments muets, où le spectateur doit investir le film, sans qu’on me donne la signification. Je voulais qu’on soit bien avec Anne, qu’on partage sa vie et ses sensations. Anne n’a pas beaucoup d’occasion de parler dans sa vie, c’est donc comme ça. Et quand on mène une vie d’ermite, le silence se charge, l’air devient plus épais, sacré, les choses prennent plus de consistance. Vous êtes davantage dans une certaine attention à tout. Mais il y a aussi des moments où le dialogue prend en charge le spectateur, quand Raphaël dit «On ne peut pas vivre comme ça»… si personne ne le dit, on étouffe.
Il y a quelque chose de très japonais dans votre cinéma.
Y. C. : Oui, peut-être dans le fait de procéder par soustraction, plutôt que par accumulation. Ça n’est pas pour autant du minimalisme. J’aime aussi beaucoup le charme des êtres humains dans le cinéma japonais, cette façon chez Ozu de souffrir avec le sourire. Dans le film, je rend un hommage admiratif à Mizoguchi et à la cinéphilie, en mettant un extrait de «La vie d’O’Haru, Femme galante», mais ce que j’aimais là dedans, c’est l’humanité, la beauté plastique, qui sont saisissants. C’est tellement beau que ça vous fait pleurer sans qu’on sache de quoi ça parle.
Propos recueillis à Toulouse le 7 janvier 2012
L’oiseau – Actuellement en salles
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