L’erreur à ne pas commettre au moment d’envisager Portrait d’une enfant déchue serait de ne le considérer que comme un strict «film de photographe», avec ce que cela impliquerait de prédominance de l’image sur le contenu et d’artificialité a priori du propos, le film se déroulant dans le monde de la mode, milieu par excellence du factice, du paraître, de la forme sans fonds.
Pourtant, le film de Jerry Schatzberg est bien plus que cela. C’est un formidable témoignage du cinéma d’une certaine époque, le début des années 70, d’une grande liberté de ton, dans la forme et la structure, et aussi un portrait de femme passionnant car complexe et inattendu dans sa capacité à déjouer les clichés du top model sur papier glacé.
Le titre original, Puzzle of a downfall child, dit d’ailleurs beaucoup mieux la recherche de vérité à partir d’éléments éclatés, qui dicte une structure non linéaire à la narration, se basant sur des fragments éparses de souvenirs. Le film, dans ce montage audacieux se rapproche fortement de L’arrangement, d’Elia Kazan, sorti un an plus tôt et qui interrogeait les revers de la réussite sociale dans une forme aussi kaléidoscopique là où Portrait d’une enfant déchue démonte la dictature de la beauté et l’illusion de la jeunesse. On pense aussi bien-sûr à Alain Resnais et à L’année dernière à Marienbad ou Je t’aime Je t’aime, deux grands films de la mémoire et de la quête de vérité.
Jerry Schwatzberg organise son récit à partir de bribes de témoignages, d’enregistrements audio, de clichés figés sur pellicule ou sur les pages des magasines. Il travaille la question du reflet – les miroirs, les champs / contre-champs pendant les séances de photo – et des surfaces à travers des échelles de plans qui disent tour à tour la liberté du personnage de Lou Andreas Sand et le piège du mannequinat – le plan aérien de l’église dont elle s’échappe pour éviter le mariage / les gros plans sur les lèvres maquillées. Portrait d’une enfant déchue est un grand film de mise en scène qui s’émancipe des modèles de réalisation classiques pour un cinéma plus expérimental et indépendant, typique d’une période d’évolution des mœurs et de protestation politique. C’est dans ce contexte qu’évolueront les futurs golden boys d’Hollywood, DePalma, Scorcese, Spielberg ou Francis Ford Coppola.
Au sein de ce dispositif complexe, Portrait d’une enfant déchue place en son centre une actrice, Faye Dunaway, qui est de tous les plans, alternativement icône de la mode ou figure sur le retour, broyée par un système qui l’a hissée au sommet. Son rapport aux hommes, à son image, à la célébrité en font un personnage insaisissable (comme le sable, traduction du « Sand » de son nom) et pas forcément aimable mais auquel Faye Dunaway apporte les nuances de force et de fragilité que nécessitent ce rôle de victime d’un système.
Ereinté par la critique, échec public à sa sortie, longtemps invisible, Portrait d’une enfant déchue a bénéficié d’une réhabilitation l’an dernier à la faveur d’une ressortie en salles grâce à Carlotta. Le film est désormais disponible en bluray dans une édition absolument SOMPTUEUSE. La copie ne trahit jamais son âge et respecte les choix photographiques de Jerry Schwatzberg avec beaucoup de précision, le matériel éditorial est riche et passionnant. C’est une nouvelle référence pour l’éditeur !
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