Camille – Toulouse, la Halle aux grains – 3 mai 2012
S’il est une chose qu’il est impossible de nier, c’est le talent indiscutable de Camille, artiste totale, intransigeante, ambitieuse, dont la proposition artistique peut cependant laisser de marbre. Il ne s’agit pas d’une chanteuse qui vient vers vous, qui s’adapte à des modes ou à des circonstances. Non, c’est à l’auditeur d’entrer dans l’univers musical de Camille et pas l’inverse. Ses disques sont à son image, des objets un peu fous, des collections de chansons qui mélangent tous les genres, toutes les formes, a priori d’une apparente simplicité, mais pourtant d’une complexité et d’une exigence rares dans le paysage de la variété française. Camille fascine ou agace. En tout cas, on ne peut rester indifférent à sa proposition.
Ilo Veyou, son dernier album sorti à la rentrée 2011 n’échappait pas à la règle. Sa pochette en forme de broderie disait le soin méticuleux apporté à sa conception, avec la rigueur d’un travail d’artisan : besoin de détourner les règles d’un enregistrement classique, d’éviter le studio qui aurait corseté les morceaux, de privilégier au contraire la texture sonore, la voix, les respirations, le son des instruments qui vivent, qui grincent. Et puis, comme on offre une broderie à un nouveau né, la particularité de cet album, c’est aussi la maternité pour Camille, qui irrigue chacun des morceaux et qui en fait son disque le plus personnel. Que ce soit sur le mode de l’émotion introspective, magnifique, de titres comme Wet Boy ou She was ou sur celui de la régression enfantine, tels Bubble Lady, Message ou Shower, son expérience de jeune maman est partout dans Ilo Veyou.
Pourtant, cet album, on ne l’a pas beaucoup écouté et on n’y est pas souvent revenu depuis sa sortie. Moins indispensable que Le fil, il renvoie surtout l’image d’une artiste de plus en plus complaisante, perchée sur sa tour d’ivoire ou enfermée dans sa bulle, sûre de son fait et qui ne se remet pas en cause. En résumé, «si vous ne m’aimez pas, c’est que vous ne m’avez pas comprise». On se dit que la liberté artistique a ses limites, qu’elle a aussi besoin d’être domestiquée, qu’il faudrait à Camille un producteur pour mettre de l’ordre dans ses idées et injecter du sang neuf. Qu’elle arrête de n ‘en faire qu’à sa tête comme une enfant gâtée.
On était donc forcément curieux de découvrir comment Camille allait prolonger l’album en concert, alertés par les échos dithyrambiques de ses prestations à la Chapelle du Couvent des Récollets en septembre 2011, dans un lieu inédit et devant un public réduit de happy fews. La Halle aux Grains à Toulouse contient plus de spectateurs, mais c’est aussi un endroit qui convient bien à l’installation proposée par Camille sur cette tournée. On avait déjà vu la chanteuse dans cette salle à l’époque de Music Hole, mais ce qui frappe instantanément, c’est le minimalisme spartiate de la scène : un piano arrangé, un violoncelle et une ampoule pendue au plafond sont les seuls accessoires qui attendent la chanteuse et son groupe.
Ce dispositif épuré à l’extrême permet à Camille une immense liberté de mouvement comme elle induit a contrario une chorégraphie très millimétrée qui n’autorise aucun écart. Pendant toute la première moitié du set, exclusivement consacré aux titres du dernier album, Camille joue avec cette ampoule qui monte et descend, l’entoure d’une étoffe pour signifier l’enfant qui va naître, s’en sert comme d’une source lumineuse dont l’intensité varie selon les morceaux. Il en résulte de beaux moments, poétiques, d’une grande force d’évocation. Camille fait une nouvelle fois la preuve de sa polyvalence, tant dans le chant – son registre vocal lui permet de tout chanter, sans que la technique n’apparaisse comme une finalité en soi –, que dans ses qualités de danseuse. Nous assistons autant à un concert qu’à un spectacle de danse contemporaine, du cabaret, une performance.
Il y a cependant tout ce qu’on n’aime pas – voire ce qu’on déteste – chez Camille dans ce spectacle. Le body percussion et le beat boxing, dont elle a déjà fait largement le tour lors des tournées précédentes. Cette façon un peu vaine et facile dont elle se met le public dans la poche en faisant monter des spectateurs sur scène pendant La France ou Cats and dogs, c’est quand même le niveau zéro de l’interaction avec la salle, non ? Cette manière de se rapprocher de l’avant-scène en rappel pour créer une sorte d’intimité factice avec le public. Le choix de la set list, privilégiant les titres qui lui donnent l’occasion de faire la fofolle, d’aller vers une forme d’hystérie qui hérisse le poil (Paris, Les canards sauvages) et nous privent de morceaux pourtant incontournables qui passent ici à la trappe (Pâle septembre, La demeure d’un ciel). Si l’on en juge par les manifestations d’enthousiasme, il est évident que la majorité sortira de la salle le sourire aux lèvres. Mais on ne peut pas s’empêcher de penser que Camille parvient à cette finalité en mettant l’immensité de son talent au service de sa partie la moins intéressante.
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