D’emblée, l’exergue, qui est une définition du gokan, nous interpelle.
Gokan (lit. «livre relié») : type de livres illustrés d’ukiyo-e (estampes), extrêmement populaires au XIXè siècle et qui s’inspirent pour la plupart des histoires de vendettas du théâtre kabuki.
Nous sommes intrigués, car cette description rappelle fortement celle du pulp, ce genre de magazines imprimés sur du papier de mauvaise qualité et qui publiaient essentiellement des histoires populaires de romances, de fantastique, de science fiction et de détectives, dont Quentin Tarantino s’est inspiré pour son deuxième film, chef d’œuvre et Palme d’Or à Cannes en 1994.
La suite ne mettra pas longtemps à nous confirmer que le premier roman de Diniz Galhos est bel et bien nourri aux références tarantiniennes – de Pulp Fiction à Reservoir Dogs – en particulier et à la pop culture – Takeshi Kitano et les films de yakusas, Hitchock, John Carpenter et Ridley Scott, Sergio Leone et les westerns – en général. Le spectateur pour qui ces citations sont signifiantes saura s’en régaler et goûtera à l’exercice ludique de repérer ici, telle ligne de dialogue (« Oups, pardon de t’avoir coupé la parole. Tu disais ? Oh, tu avais fini ? »), là, telle structure narrative, tel motif (le mexican stand off) ou tel nom de personnage (Mr Brown, George Kaplan) empruntés à tout un pan de la culture bis voire au cinéma dit de patrimoine.
Mais Gokan ne doit pas son plaisir de lecture qu’à un strict jeu de références qui flattera les lecteurs les plus familiers de ces univers. Diniz Galhos manifeste aussi un réel talent de dialoguiste absolument savoureux, maîtrise parfaitement la structure narrative éclatée et dispose d’une science très précise de la caractérisation des personnages.
On croise ainsi dans Gokan un tueur américain à la gâchette facile, une garagiste au caractère bien trempé capable de décimer trois violeurs potentiels sans coup férir, son père – ancien béret vert mêlé à une histoire de règlement de comptes -, des yakusas dépassés par les événements, un conseiller en golf chargé par de riches fétichistes de ramener des objets cultes (ici, une bouteille de saké appartenant à Quentin Tarantino), des histoires de fantômes, une mallette diplomatique remplie de billets de banque, des WC récalcitrants et, au milieu de tout cela, un universitaire français venu à Tokyo donner une conférence sur Zola.
Cet aspect hétéroclite surprend de prime abord, avec des chapitres sans rapports apparents entre eux. Puis les liens commencent à se préciser, le lecteur reconstitue la chronologie et les fils du récit, pour réussir à former une grande mosaïque jubilatoire. Alors on pourra reprocher à Diniz Ghalos la même chose qu’au cinéma de Tarantino : pratiquer l’exercice de style en vase clos, le jeu des citations en forme de clin d’œil, le recyclage en guise d’hommage. Mais comme on adore la façon dont le réalisateur de Pulp Fiction manie l’art compilatoire, on ne peut pas bouder son plaisir à la lecture de Gokan. C’est tout simplement impossible.
Gokan, de Diniz Ghalos – Editions Le Cherche Midi (disponible)
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