Quoi que l’on pense du cinéma de Pascal Laugier, il est impossible d’affirmer – à moins de faire preuve de beaucoup de mauvaise foi – que le Monsieur réalise des films neutres ou qui laissent indifférents. Il est plutôt du genre à susciter des polémiques, à cliver l’audience, tant sur la forme que le fond. A contrario, on ne peut nier que ses films soient dénués de défauts ou de maladresses, mais en bon cinéaste qui apprend, il se remet régulièrement en cause, tire les conséquences de ses erreurs et évolue, progresse. On a beaucoup reproché à Saint Ange ses excès de formalisme, son goût pour la citation et la référence, Pascal Laugier balance Martyrs comme un uppercut à la face du spectateur, sec, direct, physique et sans chichi de mise en scène inutile. Si ce dernier a fait débat sur l’éternel sujet de la violence – il est en effet d’une force assez peu commune et met mal à l’aise – il faut admettre que Pascal Laugier ne cherche pas la provocation gratuite et prend ses responsabilités de réalisateur très au sérieux. Il sait que la durée ou la valeur d’un plan et le montage – c’est à dire la grammaire cinématographique – peuvent modifier considérablement le point de vue éthique sur un film. En l’occurrence, la mise en scène de Martyrs est irréprochable moralement sur le sujet, quel que soit son avis personnel sur la conclusion du film, fumeuse ou ambiguë, peu importe.
The secret devrait moins faire débat, quoique. Puisque l’affiche du film annonce clairement le lien avec le cinéma de M Night Shyamalan et Sixième sens en particulier, on se doute a priori qu’un twist nous attend, et c’est effectivement le cas. Le récit repose sur ce retournement de scénario qui surprend le spectateur à peu près à la moitié du métrage et c’est sans doute l’aspect le plus problématique du film : vouloir à tout prix bâtir sa structure en fonction de cette astuce d’écriture attendue et rattacher les wagons coûte que coûte. Cela donne une oeuvre assez bancale, aux mécanismes un peu grinçants, qui démarre comme un film de boogeyman classique avec le « tall man » comme figure légendaire qui enlèverait les enfants d’une petite ville des Etats-Unis, puis qui bascule tout à coup comme une étude sociologique de l’Amérique profonde. Ce qui pourrait éventuellement être la faiblesse principale du film devient a contrario sa plus belle qualité : emmener systématiquement le spectateur là où il ne s’y attend pas, prendre le genre du thriller horrifique à suspense et ses motifs à contre-pied pour aboutir à quelque chose qui transcende la somme de ses parties. Mais là où The secret pourrait davantage faire polémique, c’est dans l’interprétation de son dernier acte qui pourrait être lu a contrario des intentions initiales de son réalisateur. Si Pascal Laugier prend soin de ne pas expliciter ouvertement son propos pour demeurer dans l’ambiguité, il paraît évident que le regard caméra du dernier plan, extrêmement mélancolique et désabusé, ne justifie en rien ce qui précède et exclut toute pensée moralisatrice ou réactionnaire de son auteur.
Finalement, The secret a davantage à voir avec The Village de M Night Shyamalan, film mal aimé de son auteur – à tort – plutôt qu’avec Sixième Sens. Ils partagent tous deux un discours identique sur les moyens d’échapper au monde et aux déterminismes sociaux. Mais Pascal Laugier a surtout l’air de se moquer des références, désormais il n’est plus dans le clin d’oeil convenu avec le spectateur cinéphile. Ce qui l’intéresse manifestement, c’est le genre et comment jouer avec les mythes et les légendes. Sa mise en scène a gagné en maturité, elle est plus classique et directement au service du récit. Ce qui ne veut pas dire que Pascal Laugier ne fait plus du cinéma, au contraire, pour son premier film qui ne se situe pas dans l’univers fermé du huit-clos, la réalisation est plus aérienne et ambitieuse, l’utilisation du scope autorisant notamment des plans citant l’ouverture de Shining (chacun des films de Pascal Laugier contient un clin d’oeil au réalisateur de 2001 : L’odyssée de l’espace). Avec The secret, Pascal Laugier continue petit à petit de creuser son sillon en explorant des motifs qui sont devenus des récurrences dans son œuvre : la fascination pour les personnages féminins, l’enfance sacrifiée qui est toujours le moteur de ses récits, la façon dont ses histoires s’ouvrent toujours à un moment vers l’en-dessous, quelque chose de souterrain et de caché qui dissimule un trauma, une peur profonde… Il est aidé dans son entreprise par une Jessica Biel que l’on n’a jamais vue aussi impliquée à l’écran, méconnaissable, physique, elle porte une partie du film sur ses épaules.
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