Plutôt que Les révoltés de l’an 2000, on retiendra davantage du film de Narciso Ibanez-Serrador son titre original, Quien puede matar a un niño («Qui peut tuer un enfant») car il situe clairement les problèmes moraux et éthiques que pose le métrage. Les enfants sont en effet dès le long générique de début présentés comme les victimes principales des conflits locaux ou mondiaux et de désastres sanitaires et humanitaires (Shoah, guerre de Corée, du Vietnam, Nigéria, famines). Une voix-off égrène le nombre des victimes et les conséquences pour les plus jeunes, sur des images d’archives proprement insoutenables (dont la fameuse image de l’enfant du ghetto de Varsovie, les mains en l’air, et de charniers de camps de concentration), entrecoupés par le son d’une comptine entêtante et de rires d’enfants innocents. Si les intentions du réalisateur sont à ce moment-là manifestes, ces rires, a priori symboles de pureté prendront une toute autre connotation plus loin dans le film, quand un couple de vacanciers va se trouver confronté, sur une île isolée, à une horde d’enfants vengeresse, qui tue tous les adultes en signe de révolte contre la folie des hommes.
Le sentiment de malaise ressenti par le spectateur dès les premières minutes se renforce alors considérablement à la faveur d’une mise en scène qui fait table rase de toutes les conventions sociales et morales : l’île n’est plus une société humaine avec ses règles et son organisation, mais un désert accablé par un soleil persistant, d’où tous les référents civilisationnels et domestiques ont disparu. Ainsi, toutes les machines vers lesquelles se dirige le couple par besoin sécuritaire sont hors d’usage et inutiles. Dans ce paysage où tous les repères sont bousculés, la violence des enfants peut se déployer de façon suggérée (la mise à mort du vieillard hors champs) ou purement frontale (le jeu de la piñata réinventé dans un but meurtrier par les chères têtes blondes). Ibanez Serrador use d’une réalisation minimaliste mais d’où ne sont pas absents les clins d’œil ultra-référentiels, à Hitchcock notamment et aux Oiseaux. Sauf que les volatiles menaçants sont remplacés ici par des enfants prêts à tuer. Face à cette menace, propulsés dans cet environnement hostile, les adultes tombent les masques, exposent leurs faiblesses et brisent le tabou ultime en tuant des enfants, incarnant dans ce geste transgressif la persécution de nos progénitures suggérée par le générique du début. Le film opère alors un glissement inattendu de la sympathie du spectateur des victimes adultes vers les bourreaux enfants, la violence de ces derniers étant justifiée par la folie des hommes à travers l’Histoire, à laquelle il faut mettre un terme d’une façon ou d’une autre. Le chaos dans lequel est plongé le monde face à la révolte des jeunes générations fait écho à celui d’un film plus récent, Les fils de l’homme, dans lequel la fin de l’humanité était signifiée par sa stérilité, son incapacité à se reproduire.
La copie présentée par Wild Side rend parfaitement justice aux choix photographiques du film. L’image est granuleuse et le son mono, dénué de tout effet multidirectionnel installe une ambiance frontale dans l’ambiance du métrage. On notera la différence entre la VF parlée par les personnages principaux et où la langue espagnole des autochtones est conservée et sous-titrée, alors que la version originale ibérique conserve la même langue sur toute la durée du film. L’ensemble des suppléments se situe sur le second disque avec une interview du réalisateur, un témoignage de la nouvelle vague de cinéastes espagnols qui manifestent leur admiration pour Ibanez Serrador et pour son influence sur leur travail et enfin, un documentaire sur le cinéma fantastique espagnol en fonction de l‘époque et du contexte historique, à la fois pédagogique, mais aussi passionnant et éclairant.
Les révoltés de l’an 2000, disponible en dvd (WildSide)
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