Il n’est nul besoin qu’Abel Ferrara fasse ouvertement référence à Nosferatu pour comprendre que The King of New-York doit beaucoup aux attributs de la créature de Murnau. Dès le début, le personnage de Frank White est montré comme un être blafard, quasi fantomatique et nocturne, dont l’hôtel Plaza ferait son manoir et le corbillard sa Limousine qui lui permet de se déplacer en ville. Les premières minutes du film, quasi muettes, uniquement accompagnées d’un concerto de Vivaldi sont ultra esthétisantes. Abel Ferrara soigne ses mouvements d’appareil, signifie les surfaces et les reflets. Dans un somptueux plan où les lumières de la ville se reflètent sur le visage de Christopher Walken derrière une fenêtre, tout est dit du système dual que le réalisateur va mettre en place. Ici, c’est l’écart entre la lumière et l’obscurité, l’espace et l’enfermement qui est figuré dans une seule image. Dans cette symbolisation à l’extrême où les signes et les motifs font sens, dans cette mise en scène chorégraphiée minutieusement, on se dit que The King of New-York aurait pu entièrement se passer de dialogues, être intégralement muet, tel un opéra morbide, dans une sorte d’hommage à l’expressionnisme allemand dont il s’inspire manifestement.
Quand il réalise The King of New-York en 1990, Abel Ferrara est au sommet de son art et accède à une reconnaissance critique qui l’extirpe de l’underground new-yorkais auquel il appartient. Il n’est plus simplement un mauvais garçon provocateur mais devient légitime par la maturité de sa mise en scène et la force de ses images. Il devient fréquentable. Un état de grâce en quelque sorte, pendant lequel il enchaîne Bad Lieutenant, The addiction, Body Snatchers, qui possèdent tous une vision dont la puissance d’évocation imprime les rétines et marque les esprits. C’est le Jésus descendant de la croix face à un Harvey Keitel halluciné dans Bad Lieutenant, le noir et blanc expressionniste de The addiction et le jeu sur les ombres des militaires dans le remake du film de Roger Corman. The king of New-York appartient aussi à ce genre de pellicule ultra stylisée qui évite le manichéisme et favorise la complexité dans la caractérisation des personnages et des situations. Quand il s’agit de jouer avec les notions du bien et du mal, tout en déplaçant les lignes à la fois morales et du genre dans lequel le long métrage s’inscrit – celui du film noir ou de gangsters – Abel Ferrara est très à l’aise.
Il ne situe pas The King of New-York dans le milieu de la mafia italienne, qui a souvent été incarnée à l’écran – dans Le Parrain et plus tard dans Les Soprano – pour préférer la pègre afro-américaine. Son baron de la drogue n’est pas monolithique, c’est un personnage tragique qui a conscience de sa fin prochaine, et qui a des principes dans la façon de mener ses trafics. Extrêmement violent dans les affaires, il brigue aussi des fonctions municipales et souhaite financer un hôpital. Là où Abel Ferrara est cependant moins à son affaire, c’est lorsqu’il se soumet aux diktats du genre, notamment dans les scènes d’action, pas toujours maîtrisées. Une fusillade dans un Chinatown de carton-pâte fait sourire tant le décor sent le studio et une longue course poursuite en voiture – si elle inspirera plus tard celle de James Gray dans La nuit nous appartient – échoue à convaincre des capacités d’Abel Ferrara dans le registre de l’actioner pur. Ces scènes sont traitées comme des passages obligés, on se doute que ce n’est pas ce qui intéresse le plus Abel Ferrara. Qu’importe, si on peut lui préférer Nos funérailles, le film est important et trouve la place qu’il mérite au sein de la collection Carlotta qui édite un disque d’une belle tenue technique et éditoriale.
The King of New York, disponible en dvd et blu-ray (Carlotta)
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