Mundane History n’est pas un film qui agira instantanément sur chacun, mais dont les ruptures de ton et le mystère qu’il instille produiront plutôt un effet durable chez le spectateur, qui se prolonge bien après la projection. Anocha Suwichakorpong donne dans un premier temps cette impression désagréable de produire des effets de mise en scène typiques d’un cinéma dit d’auteur – voire auteurisant –, qui se regarde un peu trop filmer : longs plans fixes ou avec un très léger tremblé de caméra, quasi absence de dialogue, chronologie éclatée (ce générique qui n’intervient qu’au bout d’un quart d’heure !). La curiosité initiale peut vite tourner à l’irritation ou à l’ennui pour qui n’aura pas la patience d’aller jusqu’au bout, mais la récompense est belle et bien là pour ceux qui feront l’effort ou qui se laisseront séduire par la beauté envoutante du film. Car le dispositif que met en place Anocha Suwichakorpong, s’il est clivant, a surtout pour objectif de semer un trouble, de susciter une interrogation, un questionnement sur la nature des images observées, leur signification, leur sens dans le film. Ainsi, le spectateur ne comprend la séquence cosmique de la création de la supernova que plus tard, quand il apprend que les deux personnages se sont rendus dans un planétarium. Mundane History repose ainsi sur un réseau d’associations a priori absconses, mais qui deviennent ensuite signifiantes sans être pour autant sursignifiées.
Car Mundane History a une très forte valeur symbolique : la scène de la naissance finale, associée à celle du cosmos, font penser inévitablement à Tree of Life qui alternait de la même façon, le micro et le macro, l’infiniment petit et l’infiniment grand. Anocha Suwichakorpong a pourtant réalisé son film quatre ans avant celui de Terence Malick, ce qui n’empêche pas les deux de partager cette même idée de renaissance, de recommencement. La présence de la tortue – dans l’aquarium puis dans le passage du film en 16 MM qui clôt le métrage –symbole de la longévité ou de l’éternité acquiert ainsi un sens qui est permis par la simple force d’une mise en scène a priori tranquille et désinvolte mais qui ne cesse de nous interpeller. Nul doute qu’Anocha Suwichakorpong est une réalisatrice dont on va devoir apprendre à prononcer le nom alors qu’on était déjà fier de réussir à articuler correctement celui d’Apichatpong Weerasethakul. Comme son collègue thaïlandais, ses images sont d’une beauté sidérante et la nature, omniprésente, est un personnage permanent dont les éléments ont la valeur symbolique du retour à la vie (la pluie, le vent, les rais de lumière qui traversent la fenêtre). Au final, Mundane History ressemble à ce titre de post rock que l’on entend à plusieurs reprises dans le film : des motifs répétitifs qui s’articulent et s’entrelacent, suivent une trajectoire ascensionnelle qui explose dans une phase paroxystique. Pas aussi anodin (= mundane) qu’il nous voudrait le faire croire, à la fois mental et musical, Mundane History est une vraie découverte qui se mérite.
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