L’un des malentendus les plus communément partagés concernant le western spaghetti est que le genre serait un mode parodique de son grand frère américain. Or, si ses excès passent en effet souvent par une sorte de second degré dans la violence, les situations et les personnages, il ne se moque pas pour autant de son modèle, mais réinvente constamment des formes alternatives souvent excessives et baroques, en tout cas d’une invention constante. Pour avoir porté le genre jusqu’à un style ultra opératique, Sergio Leone est la figure la plus emblématique du western spaghetti avec sa Trilogie du Dollar et Il était une fois dans l’Ouest. Sergio Corbucci s’est manifestement beaucoup inspiré de Pour une poignée de dollars quand il a réalisé Django. Il reprend un argument quasi identique de l’arrivée d’un étranger dans un village où s’affrontent deux bandes rivales et qu’il va manipuler tour à tour. Il iconise également son acteur, Franco Nero à la façon de Clint Eastwood : mêmes attitudes bravaches et désinvoltes, même yeux bleus qui lancent des regards perçants sous le chapeau. La structure narrative est identique sur de nombreux points, dont la chute du héros qui doit ensuite littéralement renaître pour affronter ses ennemis et accomplir sa vengeance.
Mais Corbucci ne copie pas pour autant Leone qui lui-même s’inspirait très largement de Yojimbo d’Akira Kurosawa. C’est aussi ça le western spaghetti : une circulation des genres où l’on peu aussi bien emprunter au film de sabre qu’au cinéma d’horreur. Dès le générique du début, Django est ainsi présenté comme une espèce de fantôme traînant son cercueil comme il porterait sa croix. Sa tenue vestimentaire lui donne également des allures vampiriques alors que la suite le montre le visage recouvert de boue comme un revenant ou comme un ange exterminateur. La dernière scène dans le cimetière et son plan final très symbolique insistent encore sur l’analogie zombiesque. Corbucci se distingue donc très largement de Leone pour se rapprocher d’autres collègues transalpins comme Lucio Fulci. Son univers est beaucoup plus âpre et hostile, l’histoire ne se déroule pas sous un soleil de plomb, mais dans une ambiance grisâtre et boueuse. Django est un film sale où les personnages se débattent dans la fange alors que tout espoir semble perdu, à l’image de ce trou symbolique où les sables mouvants avalent les pauvres qui y tombent.
Sergio Corbucci n’insiste jamais lourdement sur ce réseau de symboles, dont certains sont peut-être même fortuits comme le script a été quasiment improvisé au jour le jour. Mais la simplicité extrême de l’intrigue n’en font que ressurgir le sens, tout comme une certaine maladresse ponctuelle qui ne dissimule pas toujours les coutures lâches du scénario. Mais c’est aussi ce qui fait de Django un film sec et frontal, débarrassé de tout superflu et dont la représentation à l’écran de la violence dépasse tout ce qui avait vu jusque là dans le genre. De ce propriétaire terrien qui tire sur des Mexicains comme sur des pigeons à un ball trap à une scène de torture où une oreille est découpée gratuitement, l’univers dépeint dans le film est dépourvu de loi, cruel et sans pitié, d’un nihilisme absolu. Sergio Corbucci ne lésine pas sur l’horreur des situations qu’il jette sans scrupule à la face du spectateur. Les critiques n’ont pas manqué de condamner le film pour ses excès sans noter sa complexité implicite. Si les «méchants » ne sont en effet que des figures caricaturales et grotesques, la caractérisation du personnage de Django est moins littérale et échappe au manichéisme. D’abord présenté comme un sauveur, il est ensuite montré comme froid, manipulateur, lâche et cupide. Mais ses contradictions ne sont justifiées que par l’esprit qui l’anime – faire payer aux responsables la mort de sa femme – et qui fait de Django l’un des revenge movies le plus radical et jusqu’au boutiste qui soit.
Django, actuellement en salles et en dvd (Wildside)
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