« Le 18ème film de Kim Ki Duk », indique le générique de début de Pietà. Il fut un temps où le réalisateur sud-coréen a été effectivement très prolifique et régulièrement programmé chez nous, en salle ou en vidéo. Entre 2000 et 2004, nous avons ainsi pu découvrir son univers si particulier, quasi mutique, à la fois violent et onirique, noir et poétique, à la faveur de films comme Samsara, The bad guy, L’île, The coast guard, Locataires et surtout Printemps, été, automne, hiver… et printemps, son plus gros succès en France. La quasi unanimité critique dont il a profité jusque-là a été stoppée net avec Dream en 2008, auquel on n’excuse pas ses excès symboliques, romantiques ni esthétiques. Kim Ki Duk est brutalement voué aux gémonies et sombre dans la dépression après avoir failli causer la mort par pendaison de son actrice sur le tournage du film.
La première image de Pietà – un homme qui s’enroule une chaîne autour du cou – acquiert dès lors une fonction catharsistique évidente et ressemble à un moyen pour Kim Ki Duk de conjurer cet événement traumatique. La figure de la mater dolorosa place le film sous le signe explicite de la rédemption, à travers le parcours de Kang-do, jeune homme sans ami ni famille. Il travaille pour un usurier et recouvre les dettes en mutilant les débiteurs afin de percevoir l’argent de l’assurance. Quand soudain fait irruption dans sa vie une femme qui prétend être sa mère qu’il n’a jamais connue et avec qui il noue une relation ambigüe. Avec une telle histoire, Kim Ki Duk manie tout un réseau de motifs très délicats qui pourraient faire basculer le film dans la complaisance totale ou le nihilisme absolu.
Ne le nions pas, Pietà est un film d’une noirceur absolue, brutal et qui donne à voir des images d’une violence physique et psychologique à la limite du soutenable. Mais si Kim Ki Duk malmène le spectateur, le pousse dans ses derniers retranchements, il évite aussi soigneusement l’écueil du voyeurisme malsain ou du torture porn auxquels le sujet du film les destinait naturellement. Quand il filme les scènes où Kang-do se transforme en bourreau impassible ou quand ce dernier viole littéralement sa mère supposée pour « retourner là d’où il vient », il sait maintenir la stricte distance nécessaire face aux actes qui sont montrés, dans une neutralité qui ne condamne ni ne justifie. Pietà n’est donc ni un film aimable – dans le sens où l’on pourrait y prendre du plaisir – ni confortable, mais plutôt une expérience de cinéma telle qu’on en vit assez rarement.
Kim Kim Duk renoue donc avec la meilleure veine de ses débuts en repoussant encore plus loin son propre système, dans une volonté jusqu’au boutiste libératoire. On retrouve ainsi le mutisme et la solitude qui caractérisent souvent ses personnages – ici livrés à un état quasi primal, animal –, une certaine esthétique du crade – la photographie est grise, quasi délavée –, une ambiance malsaine chargée d’un gros malaise sexuel, un sous texte politique qui dit implicitement l’état de la société coréenne et un symbolisme qui touche ici au religieux. Mais là où ses films précédents permettaient tout de même d’entrevoir la lumière, celui-ci – sous couvert d’un récit de rédemption a priori – ne laisse que peu d’espoir au spectateur, mais se conclut par une longue traînée de sang sur le bitume. La seule bonne nouvelle du film : Kim Ki Duk a retrouvé la foi dans son art, et c’est déjà beaucoup.
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