Les quatre font la paire
L’histoire est simple. Un des membres du célèbre quatuor à cordes « La Fugue » se voit diagnostiquer la maladie de Parkinson.
Peter, violoncelliste assez âgé annonce la nouvelle au reste du groupe avec qui il joue depuis de nombreuses années : Daniel, premier violon perfectionniste, Robert (fantastique Philip Seymour Hoffman) deuxième violon frustré de ne pas être premier et sa femme Juliette à l’alto. Cette nouvelle rompt la stabilité du quatuor et fait ressurgir les égos et pulsions de chacun.
Le film montre comment un groupe soudé depuis longtemps doit faire face à la prochaine perte d’un de ses membres, comment le quatuor peut continuer de vivre au présent sachant qu’il ne sera plus, au futur.
Le début du film est clair : une scène, un quatuor puis quatre visages. C’est cette belle contradiction en soi, des individualités qui composent un groupe, que tente de comprendre le film.
Pour cela le réalisateur développe pertinemment une intrigue sans personnage principal. Le pari risqué du film est de composer presque chaque scène uniquement de deux personnages, autrement dit toujours un jeu de paire. Très souvent en champs-contrechamps, les duos conversent, jouent, s’embrassent, courent et pleurent. On ne peut vraiment parler d’un groupe sans en évoquer les individualités, et c’est ce que fait très bien le réalisateur Yaron Zilberman qui réussit toujours à faire vivre les autres protagonistes hors-champ.
Hormis le point de non-retour, la maladie, tous les éléments déclencheurs viennent du microcosme que le quatuor a créé. Les problèmes viennent de l’intérieur, au plus profond.
C’est cet intérieur que scrute la caméra, qui filme de près des visages et des corps avec une image très nette comme pour en extraire les plus infimes détails, chercher au plus profond la nuance, le défaut.
C’est le détail qui est toujours révélateur, comme la voiture de Daniel en bas de l’appartement d’Alexandra (la fille de Robert et Juliette interprétée par la prodigieuse Imogen Poots) et son lit défait, le violon oublié au bar, la fausse note que Juliette repère sans mal.
La vie professionnelle et personnelle de chacun des quatre membres du groupe se confond complètement. Nous voyons les disputes se former deux par deux tels les échanges musicaux entre instruments, les personnages se désaccordent et font face à la libération momentanée des individualités, ne faisant plus de compromis sur leurs désirs. Chaque personnage est emprisonné dans le rôle qu’il tient à l’intérieur du groupe, sans même s’en apercevoir, ils rejouent dans la vie ce qu’ils jouent en musique. Ce quatuor devient alors représentation de la société, avec ses jeux de pouvoir et compromis. L’unique fois où le groupe se retrouve pour répéter, les conflits internes et les non-dits font déraper l’ultime répétition chez Peter alors que celui-ci peut enfin jouer.
On s’amuse d’ailleurs dans cette scène d’un subtil hommage à Kubrick lorsque Robert, juste avant que la dispute éclate, joue « pizzicato » le thème du Beau Danube Bleu. Sa construction cyclique évoque un éternel retour, comme si les problèmes ne cessaient de recommencer « over, and over, and over, and over ».
La notion du destin est très présente. Des le départ, Peter savait que la différence d’âge serait un problème. Cette différence d’âge vient d’ailleurs reposer problème, comme par transmission darwinienne, entre Daniel et Alexandra.
Le réalisateur laisse intelligemment aux acteurs une liberté d’interprétation permettant des contrastes avec le scénario et de brusques changements de registre. La scène dans l’appartement d’Alexandra en est un bon exemple : celle-ci se met à rire alors que la situation dans laquelle elle se trouve avec Daniel est critique. Aussi l’humour passé, la tragédie en ressort bien plus forte lorsque Juliette entre chez sa fille l’instant d’après.
On ne verra finalement jamais le quatuor jouer sans interruptions. La volonté de Beethoven -enchainer les sept mouvements sans pause - se réalisera après la fin du film, hors-champ, hors film ; tandis que celui-ci y parvient, grâce à un montage équilibré permettant à chaque scène de répondre à l’autre, n’en laissant jamais aucune empiéter sur une autre.
Si le titre original est bien A Late Quartet c’est que « l’homme au grand cœur » qu’incarne brillamment Christopher Walken, offre bien plus qu’une leçon de violoncelle à ses élèves mais s’offre lui même tout entier. Il cède sa place à la jeunesse pour former un nouveau quatuor, enfin réuni en toute fin de film. Assis à côté de son élève au fond de la salle, il contemple à la fois son passé, son présent et son futur.
Note: