Difficile de le nier, malgré les meilleures intentions du bonhomme, la courte filmographie de Rob Zombie suit une courbe en dents de scie, alternant le meilleur… comme le moins bon. Le leader de White Zombie a de sérieuses références quand il s’agit de passer derrière la caméra, il dispose également d’un univers visuel très personnel. Mais il a surtout tendance à se reposer sur l’aspect formel de ses films et sur la puissance à la fois provocatrice et subversive de ses images, au détriment du reste. Avouons cependant qu’au sein d’une industrie qui méprise le genre au point d’en contredire les intentions pour le faire rentrer dans un système économiquement rentable, un réalisateur qui cite le meilleur du cinéma d’horreur des années 70 ne peut qu’avoir toute notre sympathie. Qu’importent finalement telle narration boiteuse ou telle absence de caractérisation des personnages, pourvu que les films de Rob Zombie continuent de procurer un impact équivalent à une bonne grosse claque dans la face, on veut bien lui passer ces menus défauts récurrents.
Avec Lords of Salem, Rob Zombie voudrait bien réaliser son « film de la maturité », projet casse-gueule s’il en est en terme de recherche de légitimité, surtout pour un réalisateur qui comme lui refuse de rentrer dans le rang, de satisfaire les injonctions d’executives cravatés ou de correspondre à un modèle qui le sorte de la marge. Qu’on se rassure tout de suite, ce n’est pas demain la veille que Rob Zombie va devenir tout à fait fréquentable pour le plus grand nombre. Si Lords of Salem repose en effet moins sur une volonté manifeste de choquer, il n’en demeure pas moins traversé par les fulgurances habituelles de son réalisateur, qui en fait un projet inégal et bancal, mais dont on a tout de même envie d’aimer les défauts. Rob Zombie y déploie une science du cadre, de la lumière et des ambiances qui trouve son équivalence dans le cinéma de Dario Argento, Mario Bava, Polanski et plus particulièrement du Locataire et Rosemary’s Baby. Sa mise en scène y est plus posée, moins hystérique qu’à l’accoutumée, privilégiant la durée des plans plutôt que le montage ultra cut, et donnant toute sa place aux décors, dans la plus pure tradition des lieux hantés du cinéma fantastique.
C’est quand Heidi – le personnage principal maudit par les fameuses sorcières – commence à plonger dans la folie que le film se détraque pour correspondre à son état psychologique qui alterne visions, fantasmes et apparitions en tous genres. Lords of Salem lâche prise avec toute narration un tant soit peu cohérente pour revisiter toute une iconographie satanique qui frise parfois le ridicule. Il faut voir Sherri Moon Zombie chevaucher un bouc comme à un rodéo ou se saisir des tentacules d’un nain démoniaque pour se convaincre que Rob Zombie n’a pas peur de manipuler des images qui peuvent flirter avec le grotesque. Les amateurs de bon goût et de récits cartésiens passeront leur chemin, les autres, qui auront suivi le réalisateur jusque-là, se laisseront séduire par ce projet de manipulation mentale. Lords of Salem trouve alors sa force dans ses fautes de raccords, son montage illogique, l’absurdité de ses situations, les limites du jeu de Sherri Moon Zombie. Car le cinéma d’horreur et d’épouvante a-t-il quelque chose à voir avec les bonnes manières ou ne doit-il pas plutôt chercher l’insolence pour réussir à convaincre ? Ainsi, de la même façon que certains des réalisateurs du cinéma bis cités directement par Rob Zombie ici se sont faits éreinter par les critiques de l’époque, mais ont rencontré une reconnaissance tardive, il n’est pas interdit de penser que Lords of Salem sera lui aussi réévalué a posteriori.
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