La prochaine fois, on aura peut-être vraiment peur…
Une porte laissée entrouverte nous offre une vision sur une chair en décadence. Des souffles se font entendre, fusion de gémissements et d’implorations. Sommes-nous témoins d’une scène de viol ? Ou pire encore, d’un meurtre sanguinaire ? Si le doute plane un instant, le paradoxe est très vite dévoilé, il s’agit d’un couple ordinaire en plein ébat charnel. L’ambiguïté réside uniquement dans cette mise en scène volontairement voyeuriste. Nous, vulnérables spectateurs sommes placés constamment à la place des potentiels meurtriers, toujours en retrait, dissimulés derrière un piètre buisson ou encore un sombre coin de mur. Cette idée d’intrusion, d’observation permanente, le réalisateur Adam Wingard la connaît et tient à nous la transmettre jusqu’à nous la faire ressentir. Ayant grandi dans les coins reculés du sud des États-Unis et après de nombreux cambriolages chez ses voisins ou amis, ce jeune cinéaste confiera plus d’une fois son angoisse de voir des inconnus s’introduire chez lui : « Dans l’espace personne ne vous entend crier, et c’est valable pour la campagne profonde ». Après un premier long métrage d’étude, Home Sick qu’il signe à dix neuf ans, puis un second Pop Skull (récompensé du prix du jury du festival du Cinéma Underground de Boston et le Grand Prix du Jury au festival international du film d’Indianapolis en 2008) avec un budget de 2000 dollars seulement, Wingard réalisera un segment de V/H/S, plutôt apprécié des fans du cinéma d’épouvante.
You’re Next met en scène la famille Davison, spécialement réunie dans la résidence secondaire pour célébrer l’anniversaire de mariage des plus vieux. Les voilà donc tous reclus en pleine campagne, chacun accompagné de leurs compagnons respectifs. Inutile d’être Platon pour deviner que ce banquet en huis clos Sartrien se dégradera très rapidement en concentré d’hémoglobine. D’ailleurs, une fois le prologue achevé (rappelant très fortement celui de Scream de Wes Craven ), la caméra nous offrira un plan grand ensemble de champs abandonnés où file une voiture.Grand espace où personne ne pourra vous porter secours. Une réplique fuse ensuite : « On est isolé ». Le décor ne pourrait être plus précisément planté. Tandis que l’intrigue débute, nous devinons déjà la fin. Typique des « Home Intrusion », chaque élément nous ramène à la catastrophe imminente qui se profile (lustre qui tangue, porte qui claque). Mais, ce long métrage emprunte également les codes du Slasher. Autrement dit, nous verrons des tueurs psychopathes avec des masques d’animaux assassiner avec méthode et plaisir chacun des protagonistes. Erin, héroïne féminine sera leur principale opposante. Si le croisement des genres de films d’horreur peuvent parfois émerveiller, You’re Next sera hélas une déception amère.
On peut citer Halloween de John Carpenter, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper ou encore Freddy de Wes Craven. Chacun de ces longs métrages nous ramène à un tueur masqué effrayant qui ne nous offre aucune chance de nous en sortir. Ces « monstres » font véritablement peur, ils sont de ceux qu’on imagine cachés sous notre lit, ceux qu’on n’a peur de croiser la nuit quand on se lève pour aller chercher un verre d’eau, ceux dont on n’oublie jamais le « visage ». Si bien que récemment nous avons eu le droit à toutes sortes de remakes reprenant ces figures mythiques de l’horreur. Loin de ces illustres modèles, You’re Next suscitaitl’attente d’un nouveau visage à coller à nos peurs (les fameux masques bestiaux). Leur première apparition se fait avec élégance. Armés d’arbalètes puis de haches, ils semblent aussi dangereux de loin que de près, de l’extérieur que de l’intérieur. La première demi-heure, ces bourreaux, d’une beauté esthétique renversante et d’un corps à la grâce éthérée, insufflent un réel sentiment de hantise qui hélas s’évaporera au profit d’une prestation risible. L’identité dissimulée effraye, déstabilise, car la personne se trouvant en dessous peut être n’importe qui.
Le masque donne un côté mystérieux qui élève son porteur au-dessus de l’humain, il revêt une certaine puissance surnaturel de son anonymat. Dans You’re Next, les meurtriers sont hélas très vite mis-à-nu, laissant place à une humanisation cliché, gauche et maladroite. Ainsi, on perçoit des « méchants » qui tombent dans les pièges, trébuchent, jurent, crient, enlèvent leurs masques pour discuter. La figure du masque est donc tournée au ridicule, n’étant qu’un prétexte esthétique qui aurait pourtant mérité d’être traitée. De plus, au vu de la splendeur visuelle des meurtriers, on pouvait s’attendre à des meurtres de même valeur (On pensera à Argento) or, les morts sont dénuées de toute beauté, se rattachant davantage au malsain gratuit se voulant peut être plus réalistes (gorge tranchée et agonie de plusieurs minutes filmés en plongée par exemple).
Ce qu’on appelle le néo slasher apparaîtra avec Scream, véritable renouveau du genre qui révélera l’identité du tueur s’avérant être un des membres du groupe massacré peu-à-peu. Ici les références sont plus nombreuses que les originalités. Erin est présentée en mauvais sosie de Syndey Prescott qui expliquera en une phrase simpliste ses talents cachés de warrior : « J’étais dans un camp de survie quand j’étais petite », les tortionnaires en médiocre simulacres de Scream qui se veulent violemment humoristiques, mais qui sont tout simplement de vieux militaires défraîchis et un subterfuge banal comme explication finale qui ennuiera bien davantage qu’il ne surprend. Revenons à notre dîner. Les fourchettes sont lustrées, les plats fumants tandis que les vieilles rancœurs et frustrations familiales rythment les discussions décousus, la caméra s’éloigne et se glisse à l’extérieur. Voici l’une des rares forces de ce long métrage. La caméra est sournoise, elle possède un corps à part entière qui choisit de nous diriger, de rester sur les lieux des crimes, de se déplacer à sa guise afin de nous montrer ce qu’elle dissimule aux personnages, elle nous provoque en quelque sorte. Nous sommes donc dehors, le fond sonore le prouve, nous entendons des grillons, ne percevant dès lors plus que des bribes de conversations. Voir sans être vu, voici une des définitions terrifiantes de ce que provoque le masque. C’est le mari de la sœur qui prend la première flèche. Quelques secondes à peine après avoir dévoilé sa condition sociale, cinéaste de documentaire. On le voit fixer la fenêtre comme si il décelait le cadre de la caméra, il démasque l’image en elle-même. Une pointe d’autodérision mêlée à une ironie qui nous fera doucement rire. Puis les meurtres se succèdent sans grand intérêt, le sang s’étale sur les murs, la cervelle se mélange à la petite cuillère.
Quelques références à Evil Dead (Sam Raimi) avec un mixeur et un frère qui refuse de mourir. Là encore nous sommes davantage dans l’imitation que dans la véritable innovation et malgré quelques ébauches d’idées intéressantes, le résultat n’est malheureusement pas à la hauteur de nos espérances. Dès la première attaque, l’image s’emballe, son rythme cardiaque fuse avec déraison. La caméra devient nerveuse, instable et mouvante alternant tremblements et très gros plans avec un montage fractionnant les plans toutes les trois secondes. Le tout ressemblant à une mauvaise attraction de la foire du trône. Inutile d’utiliser ce dispositif durant 1h30 pour transmettre l’anxiété et le danger qui s’abat sur la maison. Rajoutons à cela des abus d’arpèges brutaux et de pastèques écrasés ainsi qu’une volonté omniprésente de nous faire sursauter. Le tout donne un ensemble très criards et inégal. A trop vouloir en faire on perd en crédibilité, indigeste à défaut d’indigent. Les faiblesses s’enchaînent aussi facilement que les morts. Les personnages sont trop nombreux et trop stéréotypés. Un spectacle régressif, mais est-il assumé, Voulu ? You’re Next commence comme un film d’horreur sérieux se voulant angoissant et se termine au mieux comme un long métrage mal maîtrisé se perdant dans ses hommages en dépit de sa créativité, au pire comme une parodie.
You’re next, d’Adam Wingard – Sortie le 4 septembre 2013
Note: