Maladie du bonheur
Le plus compliqué dans la critique de cinéma est de commenter les grands films.
C’est le cas présent pour All That Jazz, titre original du quatrième et avant-dernier film de Bob Fosse, palme d’or du festival de Cannes en 1980.
Ce film autobiographique raconte la fin de vie d’un chorégraphe et réalisateur menant une vie excentrique entourée de femmes, d’alcool et d’excès en tous genres, surtout celui du travail.
« Kubrick faisait-il des dépressions ? »
Joey Guideon est un éternel insatisfait qui n’arrive pas à terminer son film qui a déjà dépassé tous les délais imposés possibles, alors qu’il élabore dans le même temps une nouvelle chorégraphie. Heureusement, son charisme et son humour lui permettent d’obtenir naturellement ce qu’il désire, de la patience des producteurs au pardon de ses femmes.
Le montage vif et elliptique engendre une frénésie d’abord interne au film, qui devient de plus en plus mentale : visions subjectives du héros tombant gravement malade de surmenage. Le film se remplit au fur et à mesure de musique et de danse, la comédie musicale pure prend le pas, on tombe dans une transe de mouvements, le personnage ne s’en remettra pas. Le rythme effréné du film retranscrit parfaitement le style de vie que mène Joey. On pense notamment à Nicolas Roeg et son Enquête sur une passion (sortie la même année), pour le montage à la narration « éclatée ».
La vie familiale de cet artiste égocentrique, mais toujours aimant est magnifiquement résumée dans une scène où il prend des nouvelles de sa fille tout en lui donnant un cours de danse. Les gestes de tendresses se mélangent aux pas de danses rigoureux, la fille et son père se voient devant le miroir, cherchant leur relation. Chaque plan accompagne les corps et mouvements. L’enchaînement des points de vue et les mouvements de caméras font acte de chorégraphie en soi.
L’artiste malade choisira le spectacle face à la vie, la magie face à la mort, et s’abandonne à son art qui le détruira. Il imagine sa toute dernière chorégraphie dans son lit d’hôpital et tire consciemment sa révérence sur cet extraordinaire « Bye Bye Life ».
Seul lui et le spectateur peuvent contempler sa dernière œuvre.
Car le cinéma peut transmettre toute la magie possible et imaginable qu’un homme a dans la tête. C’est ce que réalise Bob Fosse, chorégraphe du film, qui soulève aussi ironiquement la difficulté d’expression artistique face à l’argent, sans pour autant faire un pamphlet contre la société.
Le réalisateur concentre au final le film sur l’imaginaire du héros et décrit, en abîme, son avatar Joey, emmêlé dans son propre imaginaire.
Un chef-d’œuvre visuel qui confirme que l’artiste et son œuvre dépassent toutes les conditions de création, tous les jugements et toutes les critiques (versatiles ou non).
Note: