Voilà déjà huit ans que la ville de Paris ouvre ses portes à la diversité et à la richesse du cinéma coréen. L’influence et l’intérêt passionné que suscite le cinéma coréen partout dans le monde et plus particulièrement en France, berceau historique de la cinéphilie, résident fondamentalement dans la pluralité stylistique d’une cinématographie qui n’hésite pas à explorer le cinéma sous toutes ses formes : de l’inventivité narrative démesurée d’un Hong Sang-Soo aux pamphlets édifiants d’un Bong Joon-Ho tout en passant évidemment par les dissertations contemplatives sur l’individu d’un Kim Ki Duk ainsi que par les odyssées formelles d’un Park Chan-Wook, le cinéma coréen crie au monde la profusion créatrice de ses cinéastes. Le festival du film coréen apparaît donc comme l’occasion de rendre sensible et très visible la diversité d’un cinéma bien plus qu’émergeant ; principalement, la force de ce festival tient à la diffusion d’œuvres de cinéastes méconnus et dans la plupart des cas très jeunes. Se dessine ainsi une image possible du cinéma coréen à venir.
La première journée officielle a été très fortement marquée par une question à la fois pressante et obligée : sous quelles conditions un(e) cinéaste coréen(e) peut-il/elle, aujourd’hui, faire une image ? A quelles contraintes doit-il/elle faire face ? Dans quelle histoire des images son œuvre s’inscrit-elle ? Que veut et surtout, que peut, le cinéma coréen ? La programmation de ce premier jour se livre délibérément à cette initiative interrogative en proposant deux films qui traitent ouvertement la question de la création.
Ari ari the Korean Cinema du documentariste, enseignant et cinéaste expérimental Heo Chul retrace sur un registre volontairement pédagogique le paysage actuel d’une cinématographie sous contrainte d’obéir aux exigences d’une industrie de plus en plus américanisée (ou hollywoodianisée, faudrait-il dire) et donc de moins en moins singulière. Ainsi, quelques unes des figures maîtres du cinéma coréen contemporain (Park Chan-Wook, Im Kwon-taek ou Bong Joon-ho entre autres) partagent leur avis sur les conditions à la fois aimables et violentes dans lesquelles ils doivent accomplir leurs gestes esthétiques. L’ensemble de ces entretiens se dresse sur un dispositif très classique et télévisuel où tout se succède de façon peu inventive (alors que la situation, comme partout, est catastrophique) mais malgré tout assez tendre. Car Heo Chul décide de filmer ces emblèmes non pas en tant que tels mais en tant que sujets parfaitement humains et quotidiens qui mangent et boivent entre amis comme dans les plus beaux films de Hong Sang Soo. L’horizon sur lequel ces artistes produisent leurs œuvres est donc, avant tout, un horizon de partage, de dialogue en groupe ; il s’agit d’une communauté d’artistes au sens plein du terme, ce qui explique la richesse d’une cinématographie très fertile car unie et non pas stérile car nombriliste comme il arrive souvent en France.
À la modestie du film de Heo Chul est venue s’ajouter une proposition résolument démonstrative, celle de Passerby #3 de SHIN Su-won. Le film décrit les difficultés qu’une femme mariée, au chômage, doit traverser pour réaliser son rêve : devenir cinéaste. Sur les différentes façons de figurer l’échec et le blocage créatif, le cinéma a déployé un répertoire inépuisable de solutions face auxquelles SHIN Su-won semble indifférente. Tout se passe comme si le film devait surligner, à travers des figures de style déjà éprouvées, le désespoir de cette femme qui par ailleurs est observée sous une optique misérabiliste. Essentiellement, ce qui pose problème, c’est l’humour flottant et condescendant qui se fige sur cette figure féminine détestée par son fils, oubliée par son mari et humiliée par l’industrie du cinéma. Au visage désespéré de cette pauvre femme s’aligne systématiquement le contrechamp d’un écran blanc d’ordinateur où de temps à autre on aperçoit des fourmis daliniennes qui viennent illustrer maladroitement la démangeaison créatrice.
Là où Heo Chul dissertait modestement mais tendrement sur les obstacles à franchir dans tout geste créatif ainsi que sur la nécessité de construire une industrie cinématographique fondée sur des initiatives formelles spécifiques et non pas tournées vers l’industrie mondiale, SHIN Su-won s’attache à raconter exactement la même chose mais sous une forme antipathique car très académique et dédaigneuse.
Reste à voir, à découvrir, suite à cette première journée introductive et quelque part théorique, ce que le festival du film coréen a à déplier sur l’avenir d’un cinéma qui intéresse, fascine et interpelle la cinéphilie du monde entier.
– > Site officiel du Festival du film Coréen de Paris (FFCP)
Ari Ari the Korean Cinema – Note:
Passerby #3 – Note: