Samedi 28 mai
Lorsque la programmation quotidienne du festival a été annoncée, il a tout de suite été évident que le samedi serait la plus grosse journée au Primavera, la répartition horaire rendant encore plus cornélien les choix de groupes à privilégier. On file donc plus tôt que d’habitude au Parc del Forum pour ne pas rater le concert de The Tallest Man on earth à 17 h 30. Drôle d’idée a priori que de programmer Kristian Mattson sur la grande scène en fin d’après midi, on se dit qu’une audience plus réduite et intimiste conviendrait davantage aux folk songs du jeune suédois. Pourtant, même si le début du set est contrarié par le gros son de Za ! qui joue juste à côté, The tallest man on earth, seul sur scène ne se démonte pas et justifie sa présence devant un public déjà nombreux et ravi. C’est l’une des plus belles surprises de ce week-end, on est prêt à lui décerner le titre de « King of spain » tant il s’est montré juste, touchant, drôle et émouvant, avec son jeu de jambe unique, ses grands yeux de gamin étonné, sa voix nasillarde à la Dylan. Rejoint pour quelques titres par ses deux frères « rencontrés la veille » puis par Amanda Bergman pour un duo chanté quasiment bouche à bouche qui clôture le concert, il reçoit un triomphe mérité, manifestement très ému par la réaction du public.
La journée commence bien, on file de l’autre côté du site pour voir le début du set de Warpaint avec une pause sur le trajet pour écouter le rock low fi de Yuck, toutes guitares en avant, l’esprit shoegaze ressuscitant l’époque de la noisy pop sous influence Dinosaur Jr, Ride et My Bloody Valentine. On ne peut malheureusement pas nous attarder, regrettant aussitôt de n’avoir pas davantage pu profiter de la scène ATP, en amphithéâtre, où l’on peut assister au spectacle les pieds dans l’herbe, sous les arbres. Warpaint, sur la Llevant stage doit faire avec d’autres conditions pour séduire le public : soleil rasant de fin de journée en pleine face, vent maritime qui fait tourner le son. Si le groupe apparait comme un produit excessivement marketé (quatre jolies filles, un single « Undertow » en éclaireur d’une campagne promo savamment orchestré par Rough Trade, la maison de disque qui prépare l’après XX) et ne convainc pas sur la durée d’un premier album inégal, on ne peut pas nier que Warpaint a des atouts sur scène. A commencer par une fameuse section rythmique autour de laquelle s’articule l’essentiel des morceaux, un duo basse/ batterie qui nous renvoie à l’époque de la new wave (on pense à Cure et aux Cocteau Twins) et soutient des structures longues et non linéaires, déstructurées. Ce plein jour ne convenait sans doute pas aux atmosphères dark des morceaux de Warpaint, on y aurait davantage goûté plus tard dans la soirée.
Le soleil va en revanche bien au teint des folk songs lumineuses et aériennes de Fleet Foxes. « Helplessness blues », leur deuxième albums sorti cet automne leur avait permis d’accéder à un nouveau palier, au sens propre d’atteindre des sommets de plus en plus élevés, faire entrer dans leur musique plus d’espace, d’ampleur dans les chœurs, de sophistication dans les arrangements. Une énorme pièce montée qui perd en spontanéité et en légèreté par rapport au charme immédiat de leur premier opus éponyme mais qui finit par convaincre à force de virtuosité mélodique. Le set du groupe ce soir suivra cette même trajectoire ascensionnelle, commençant en douceur avec l’instrumental délicat « The cascades ». Il douche d’emblée le public de sa beauté pastorale, mais il faudra attendre plus loin un doublé « Sim Sala Bim »/ « Mikonos » pour que les barbus en viennent aux choses sérieuses et emportent l’adhésion. Il faut dire que Robin Pecknold, le chanteur, a l’air un peu fébrile : c’est le premier concert du groupe en territoire espagnol et il consulte mystérieusement sa montre régulièrement. C’est que ce soir, Barcelone joue contre le Manchester United en finale de la Champion’s League, il s’agit de libérer les footeux à l’heure pour le match. Mais avant la messe du ballon rond, ce sont les Fleet Foxes qui récitent leurs hymnes magnifiques en bons apôtres folk, avec la méticulosité et l’orfèvrerie du studio en moins, le son de la scène devenant brouillon, moins précis quand il s’agit pour tous les musiciens d’embarquer les morceaux dans les envolées les plus lyriques.
On prévoit une petite pause casse-croûte avant le gros morceau de la soirée, le concert de PJ Harvey sur la grande scène en tête d’affiche. C’est depuis les stands de nourriture que nous parviennent les échos du concert de Einstürzende Neubauten qui joue sur la scène Ray Ban : on engloutit notre saucisse frite pour nous rendre compte de visu que les papys de l’indus allemand ont encore de beaux restes. Le son est parfait, puissant, la section rythmique lourde et précise, le chanteur cabotine avec manifestement beaucoup de plaisir, le groupe utilise des accessoires de chantier de construction comme d’instruments de musique pour produire un chaos sonore maîtrisé et paradoxalement toujours mélodique. S’il ne fallait pas déjà filer vers la San Miguel pour réserver notre place au concert de PJ Harvey, nul doute que ce set de Einstürzende Neubauten aurait pu figurer en bonne place de notre top du week-end, tant il en remontre aux petits jeunes de la scène noisy rock actuelle. L’ambiance devant la San Miguel est moins hystérique que la veille au soir pour Pulp et on se dit, en voyant monter PJ Harvey sur scène, droite dans son habit blanc, une couronne de plume dans les cheveux, son auto harpe calée à l’épaule, que la diva du Dorset, avec maintenant près de 20 ans de carrière derrière elle, affirme avec beauté et autorité sa maturité. Son dernier opus « Let England Shake » est sans nul doute l’un de ses meilleurs albums, en tout cas de récente mémoire. Elle y dresse un portrait de son pays sans concession, entre amour et haine, espoir et déception, y décrit les conflits guerriers d’hier et d’aujourd’hui, la colonisation, l’engagement militaire derrière les Etats-Unis, le délitement culturel, économique et politique. Si les textes expriment un constat sans concession su l’état de l’Angleterre, avec une ambition littéraire rare, la musique est a contrario lumineuse, remplie d’énergie positive, de bonheur manifeste de jouer en toute simplicité, le spectre vocal est d’une variété incroyable, les motifs sonores sans cesse renouvelés. Si on écoute en boucle cet album sans nous lasser depuis sa sortie, on craignait cependant que les concerts ne privilégient que le matériel récent comme ce show case donné à la Maroquinerie en février dernier. On avait tort, en jouant très tôt dans le set un « C’mon Billy » issu de son chef d’œuvre, « To bring you my love », PJ Harvey ne fait pas de doute sur sa volonté d’alterner entre les nouveautés et les grands classiques. Les morceaux les plus rocks, « The sky lit up », « Big exit » ou « Meet ze monsta » trouvent une nouvelle énergie aux mains d’un groupe plus folk qu’électrique. Isolée physiquement des autres membres sur scène, n’excluant cependant pas une évidente complicité musicale, la demoiselle Polly Jean n’est pas un modèle de communication avec le public, il faudra une ovation finale (qui ne la fera pourtant pas revenir) pour la voir esquisser un sourire, manifestement émue par une telle réaction, de surcroît dans le contexte d’un festival.
Le marathon est presque fini et c’est dans la dernière ligne droite qu’on se prend une nouvelle claque inattendue : Mogwai. On les pourtant vus quelques semaines plus tôt au Bikini à Toulouse, où les Ecossais avaient délivré un excellent concert, mêlant leur habituel grand huit post rock à des sonorités plus electros, avec des voix au vocodeur et des titres moins longs, plus immédiatement rock que d’habitude. Le groupe, qui n’a plus rien à prouver, était parvenu à se renouveler, se révéler inventif tout en restant familier pour l’auditeur. Ce soir, Mogwai défend encore largement son dernier album, « Hardcore will never die but you will » avec cinq titres qui en sont directement issus et qui déjouent l’habituel phénomène d’attente typique aux compositions post rock où le calme précède le déferlement sonique et sonore. Ces morceaux suivent une trajectoire beaucoup plus linéaire, signifiée par cette ballade vélo qui illustre « How to be a werewolf », le groupe est moins dans la tension systématique, est décontracté et très complice. On jette nos dernières énergies pour apercevoir de loin le concert d’Animal Collective, qui a décidé de ne jouer quasiment que des titres de prochain album dont la sortie n’est pas encore annoncée. Avec force projections psychédéliques, le groupe ne convainc pas de sa pertinence scénique mais donne un avant goût très prometteur de son futur opus. Dommage, vu la réaction du public sur « Brother Sport » de n’avoir pas fait plus de place aux anciens morceaux mais de toute façon, nos semelles à cette heure avancée de la soirée étaient de plomb, nos dos fourbus, notre état de fatigue très avancé. Et dire qu’au même moment, DJ Shadow a déposé sa shadowsphere un peu plus loin tandis que les Black Angels s’apprêtent à déployer leur rock psychédélique sur la scène Pitchfork : c’est ça le Primavera Festival, le bonheur des concerts auxquels on a pu assister et les promesses de ceux qu’on n’a pas pu voir. Si l’exercice se révèle un peu frustrant, on est cependant prêts à revivre l’expérience l’an prochain !
Crédit photo : Tom Spray
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