De Lovelace, nous pouvions nous attendre à deux choses : soit à un film axé sur l’émergence galopante de l’industrie pornographique, emblématisée par le succès inattendu de Gorge profonde, soit à l’histoire personnelle et tragique de la star principale dudit film. Alors que le film s’organise autour d’un contexte et d’un sujet éminemment enclins à l’invention visuelle, à la critique d’un système qui fonctionne selon la logique de l’instrumentalisation, l’industrialisation et la rentabilisation des corps, Rob Epstein et Jeffrey Friedman choisissent, pour plateforme narrative et esthétique, les formes traditionnelles, voire télévisuelles, du biopic (confirmant, par la même occasion, qu’à Hollywood, seul Scorsese est habile dès qu’il s’agit de raconter la vie des autres). Il en résulte donc un film très sage, soigné et dramatiquement efficace, sans qu’aucune image ne soit portée par des enjeux autres que ceux de l’identification primaire et ceux du plaisir narratif.
Bien que l’idée d’une industrie vouée à la marchandisation du plaisir, à la réification des corps et à la systématisation d’un pouvoir symbolique qui s’exerce par le désir des images soit là, bien que le film dresse des liens critiques entre starification hollywoodienne et cinéma pornographique, inscrivant ce deuxième dans une prolongation capitalistique du premier, Lovelace ne parvient pas à s’ériger en dénonciation effective de ce qu’il prétend, ou du moins devrait, contester. Pourquoi ? Sûrement parce que le personnage de Linda Lovelace est en soi assez fascinant et propice à la dramaturgie, puisqu’il s’agit bien d’une femme qui soit survivre dans un monde gouverné par des hommes ainsi que par une morale chrétienne (incarnée par une Sharon Stone qui est passée par la case du maquillage vulgaire) qui entrave toute possibilité de liberté.
Tel est le sujet réel du film : ni l’industrie pornographique, ni ses faits et méfaits, ni la vie de Linda Lovelace mais, très exactement, l’histoire d’une femme qui est tombée entre les mains d’un mauvais type voué à faire d’elle un produit à rentabiliser. Le film avance sobrement, craignant qu’une quelconque déviance ou discontinuité vienne altérer sa marche, qu’un élément acquiert soudain une réelle ampleur et puissance formelle.
Sans vouloir prétendre un retour du même, on s’attendait peut-être aussi, en voyant Lovelace, à un esprit inventif proche de celui de Boogie Nights, qui n’hésitait pas à appréhender l’industrie du porno comme un immense flux, d’argent et de plaisir, qui circulait de corps en corps afin tisser sur un registre comique la toile d’un empire culturel et politique résolument chosifiant.
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