Dire que Rocky Balboa fait l’effet d’un direct en plein cœur revient à utiliser une métaphore qui, si elle ne brille pas par son originalité en la circonstance, traduit pourtant parfaitement l’effet que produit le film sur le spectateur. Une victoire par KO qui n’était cependant pas gagnée d’avance en considérant les 60 ans de Sylvester Stallone et la collection de nanars auxquels l’acteur nous a habitué depuis plus d’une décennie, et qu’il est inutile de rappeler ici.
Pourtant, si Stallone fait régulièrement l’objet de sarcasmes et qu’il se traîne toujours une réputation de gros bras sans cervelle, on oublie trop souvent le parcours exceptionnel du comédien et son accession à la célébrité à la faveur du rôle de Rocky en 1976. Handicapé par une paralysie faciale dès la naissance et d’un problème d’élocution, affublé d’un prénom de dessin animé, débutant sa carrière dans un porno soft, Stallone a réussi à imposer le scénario de Rocky à l’unique condition qu’il interprète lui-même le personnage du boxeur. Une intuition qui lui vaudra le statut de superstar puisque le film obtiendra trois Oscar en 76, pour le meilleur film, le meilleur réalisateur et le meilleur montage. L’acteur est nominé dans la catégorie du meilleur acteur et du meilleur scénario original. La trajectoire individuelle de Stallone restera intimement liée à son alter ego des rings, puisqu’au statut de challenger qu’il occupe dans le premier opus de la saga, Rocky devient le champion du monde dans sa suite, il est confronté aux revers de la célébrité dans L’œil du tigre, sombre dans la mégalomanie dans Rocky 4 pour envisager un retour aux racines du personnage en tant que mentor cette fois, dans Rocky 5. Stallone EST Rocky et vice-versa, et la mise en chantier d’un nouvel opus de la saga, 16 ans après le dernier film, aurait pu ressembler à un chant du cygne, un coup d’œil nostalgique dans le rétroviseur, pour se remémorer une gloire passée et désormais caduque.
C’est une fatalité dans laquelle pouvait tomber ce Rocky Balboa. Ne fonctionner qu’à la nostalgie pure, construire uniquement sur les ruines d’un succès passé, avec ses codes auxquels le spectateur adhère inconditionnellement (la musique de Bill Conti, les séquences d’entraînement, les combats), mais dont on pouvait douter qu’ils soient encore pertinents aujourd’hui et même qu’ils parviennent à échapper aux clichés dans lesquels ils s’étaient réduits petit-à-petit.
C’est le piège qu’évite magnifiquement Stallone. Certes le film convoque le souvenir des spectateurs pour le conduire dans un pèlerinage qui revient sur les lieux visités dans le premier épisode. Adrian étant décédée trois ans auparavant d’un cancer, Rocky se recueille à chaque date anniversaire de sa mort sur sa tombe, dans la patinoire où il l’a conduite lors de leur premier rendez-vous, sur le perron de son ancien appartement, au seuil du magasin pour animaux où elle travaillait. C’est la partie la plus mélancolique du film, située essentiellement de nuit, usant de flash-back émouvants et de champs/contre-champs avec trente ans de différence, et d’un jeu sur la lumière privilégiant les clairs obscurs, les ombres signifiant la fin d’une époque. Stallone confirme, si besoin était, qu’il est un grand réalisateur, mais aussi un acteur magnifique. C’est réellement un bonheur unique que de le voir à nouveau interpréter Rocky, avec ses tics identifiables, sa démarche, le mouvement d’épaules et les moulinets de bras mimant le combat. Mais c’est surtout dans la caractérisation du personnage que l’on comprend rétrospectivement le succès de la saga. Rocky est a priori naïf, mais d’une perspicacité redoutable, donneur de leçons, mais sans jamais tomber dans le moralisme et d’une générosité sans limites. Il faut le voir raconter aux clients de son restaurant ses anciens combats, comme une véritable attraction dont il a conscience mais avec laquelle il joue nostalgiquement. Mais Stallone parvient aussi à émouvoir par la seule force de son jeu, en allant puiser dans sa « cave », cet énorme nœud à l’estomac qu’il trimballe depuis longtemps et qui remonte dans une séquence bouleversante de dialogue avec son beau-frère, Paulie.
Le film, à bien des égards, peut s’envisager comme un remake du premier épisode de la série. Comme dans certains grands films – dont certains de récente mémoire -, la ville où a lieu l’action joue un rôle important. Elle est filmée comme un personnage à part entière. Stallone filme Philadelphia avec un regard nostalgique, opposant la froideur des structures d’acier aux quartiers de sa jeunesse où les « bus ne passent même plus » et où Rocky remplace symboliquement l’ampoule d’un lampadaire pour faire ressurgir une étincelle de vie sur un coin de pavé. Autre manifestation du temps qui passe, les personnages ont vieilli, Paulie est licencié de l’abattoir où il peint ses croûtes et le fils de Rocky grandit, sans parvenir à échapper à l’ombre légendaire de son père. Le film est à cette occasion l’histoire d’une émancipation et d’une émouvante réconciliation père/fils. Outre son fiston auquel il n’hésite pas à faire la morale avec la verve qu’on lui connaît, Rocky prend également sous son aile Marie, la jeune fille qui l’insulta en son temps dans le premier Rocky et qui s’ennuie comme serveuse d’un bar douteux. Rocky prend petit-à-petit la place d’un père tutélaire pour elle et son fils, Steps, et se reconstruit une famille de procuration pour combler le vide laissé par la mort d’Adrian. La richesse psychologique de ce Rocky Balboa dépasse donc très largement celle des derniers épisodes en date et la richesse d’écriture de Stallone ne finit pas de surprendre, évitant les clichés, la simplification pour toucher droit au cœur autour de valeurs fondamentales.
Mais bien sûr, Rocky, c’est aussi la boxe, et c’est de ce côté que le doute était le plus tenace, Stallone ayant aujourd’hui soixante ans, on n’imaginait pas comment il pouvait justifier un retour du boxeur sur le ring. D’un point de vue du ressort dramatique, l’absence d’Adrian est l’élément scénaristique autour duquel s’organise l’aspect nostalgique du film, mais aussi la motivation de Rocky à reprendre les gants. Désormais seul face à ses vieux démons, le sport le rattrape naturellement pour vivre un dernier moment de gloire. Ce qui aurait pu virer très rapidement au ridicule devient au contraire un véritable hymne au courage, car Stallone situe systématiquement son come-back dans les limites du plausible. Les clips d’entraînement, avec la musique de Bill Conti, s’ils provoquent toujours chez le spectateur un effet euphorisant, sont plus courts que dans les épisodes précédents, sans doute pour les circonscrire dans les limites raisonnables de la performance physique. De la même façon, le combat final introduit des éléments qui crédibilisent un tel affrontement entre un jeune champion et une légende sur le retour (la blessure à la main de l’adversaire de Rocky, qui permet à ce dernier de tenir les 10 rounds). Le combat utilise tous les artifices de mise en scène familiers au spectateur, avec les premières reprises filmées intégralement sur le mode d’une retransmission télévisée (avec le logo HBO PPV), et la suite consiste en un montage paroxystique qui conduit au climax final, bouleversant d’humilité et de justesse, et qui laisse une trace profonde chez le spectateur. On ne peut que remercier Stallone de nous procurer de tels moments d’émotion, et on salue la silhouette de Rocky comme un vieil ami qu’on quitte.
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