Versatile Mag : Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel, de ce qui vous a amené au cinéma et à ce film-là en particulier ?
David Dusa : Je suis né en Hongrie et j’ai grandi en Suède et en Afrique du Sud. J’ai réalisé trois courts métrages et je travaillais déjà sur un projet de film quand les événements iraniens se sont déroulés en 2009 à la suite d’élections truquées. J’ai suivi ça de près, ayant moi-même des amis iraniens. J’ai été frappé de la façon politique dont ont été utilisés les réseaux sociaux lors de ces manifestations. Nous avons été submergés de textes et d’images via Youtube, Facebook et Twitter. Je voulais absolument faire quelque chose de tout cela. En parallèle, j’avais rencontrée Rachid Youcef sur un casting, nous étions devenus amis et il m’avait raconté son parcours. C’est d’ailleurs ce qu’on entend dans le film, sa vie dans des centres d’accueil, son histoire familiale… Il a beaucoup influencé l’écriture des Fleurs du mal : l’appartement dans le film est son propre appartement à Bagnolet, il était lui-même bagagiste dans un hôtel et les vidéos de danse que l’on peut voir sont aussi les siennes. Le film est donc vraiment né de cette rencontre entre Rachid et les images de la révolution iranienne.
Rachid est danseur, la danse dans le film est aussi un grand symbole de liberté.
Le grand symbole de liberté, c’est le fait que Rachid peut se permettre de danser dans l’espace public. La liberté de Miss Dalloway est davantage à l’intérieur, dans son intellect. Mais dans son pays, en Iran, elle est obligée de jouer les conventions d’usage. Lui possède un autre rapport à la liberté : il dit «Mon ignorance est ma liberté». On le comprend plus tard, comme il a vécu des choses difficiles dans sa vie, il se cloître dans sa bulle en ignorant le monde. La problématique de Miss Dalloway est ce déchirement entre vivre son amour ici ou rentrer en Iran pour se battre. Elle est sans arrêt connectée aux réseaux sociaux avec son PowerBook, et peut suivre les événements comme si elle y était. Elle est totalement divisée émotionnellement entre Paris et Téhéran.
Fleurs du Mal est décrit comme un «film 2.0», pouvez-vous nous expliquer cette notion ?
En tant que cinéaste, je suis submergé d’images tournées partout dans le monde et mises en ligne sur YouTube. On consomme aussi les films autrement qu’avant, on peut regarder un film dans le métro sur son Iphone. Ça me questionne sur ma position de cinéaste à une époque où tout le monde a une caméra dans sa poche et peut filmer. Dans Fleurs du Mal, la fiction est un prétexte pour parler de ces images. J’ai écrit le scénario en regardant ces vidéos. Je voulais donner une impression émotionnelle de ce qu’est l’Internet : être présent à plusieurs endroits simultanément, plonger dans un monde parallèle, une autre réalité qui nous percutent, mais avec lesquels on ne peut pas inter-agir physiquement.
Dans le film, l’histoire semble comme contaminée par ces images dans cette forme de surgissement.
Exactement, c’est traité comme une infection. C’est pour cela que le film est ambiguë sur ces images. Je suis quelqu’un de très optimiste sur les possibilités offertes par Internet et les réseaux sociaux, mais je suis lucide sur le fait que cela rend aussi un peu schizophrène, en ayant notre attention sans cesse divisée.
Le contexte politique et historique des manifestations iraniennes n’est pas explicitement situé : vouliez-vous que cet aspect soit pris en charge par le spectateur ?
Je ne suis pas la bonne personne pour le faire, c’est très compliqué de vouloir remettre tout cela dans un contexte historique. Ce qui m’intéressait davantage, c’est la rencontre entre Rachid et ces vidéos, l’impact émotionnel qu’elles ont sur lui sans entrer dans les événements historiques contemporains. Mais je voulais aussi personnaliser ces vidéos. Si j’avais juste proposé un montage terrifiant de ces images, j’aurais perdu les spectateurs à coup sûr, car elles sont très violentes. L’histoire d’amour permet de se détacher de ces images, même si elles nous touchent particulièrement.
Comment avez-vous procédé pour choisir ces images et les monter ? Quels ont été vos critères ?
Je me suis constitué une base de données des vidéos d’Iran, pendant le déroulement des événements. Les vidéos sont comme des Fleurs du mal pour moi, elles véhiculent une certaine beauté, la pixellisation leur donne un coté impressionniste alors que leur contenu est terrible. Le montage n’a pas été évident pour plusieurs raisons : il fallait réussir à réveiller les consciences, ne pas détourner les images de leur sens, mais les utiliser malgré tout de manière différente, davantage de façon passionnelle qu’historique. Quand il y avait trop de violence dans le montage, l’histoire d’amour devenait trop anecdotique et à l’inverse, en voulant rester plus minimaliste, je craignais que ces vidéos ne deviennent un gimmick. Il a fallu trouver un juste équilibre. Il y a plusieurs niveaux dans ces images : le niveau narratif, le niveau psychologique – qui est la façon dont les personnages les reçoivent -, le dernier niveau étant à l’attention du spectateur, où on voit des vidéos que les personnages ne voient pas eux-mêmes.
Quelles différences trouvez-vous entre les images des révolutions iraniennes, tunisiennes et égyptiennes ?
En Iran, les manifestants ont surtout filmé pour nous faire partager les images de ces événements, comme un témoignage, pas pour organiser le mouvement dans la rue. La Tunisie a appris de la révolution iranienne en utilisant le pouvoir organisationnel des réseaux sociaux qui a trouvé son apogée en Egypte. Les tweets sont devenus une forme de morse. Mais en Égypte, les journalistes étaient sur place, il y a plus de diversité et une grande richesse d’image.
Est-ce que dans votre mise en scène, vous allez vous diriger votre quelque chose de plus traditionnel ou continuer sur un mode identique à celui de Fleurs du Mal ?
Non, cette forme-là n’est pas née d’une philosophie que j’aurais développée pendant des années, c’est vraiment un film de l’instant. Je voudrais essayer beaucoup d’autres choses. Mon prochain film, La révolution ne sera pas tweetée donnera la parole à des blogueurs qui ont participé à la révolution tunisienne, à partir des témoignages de ceux qui utilisent les outils d’Internet. Je pense que l’Internet va réellement devenir l’une des fondations de la société de demain.
Fleurs du Mal, actuellement en salles
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