Fleurs du mal est un film qui existe dans un modèle (la technique, les moyens) très léger qui en fait un objet à la fois frais et spontané, mais pourtant non dénué d’un point de vue qui dépasse son statut de home movie bricolé. En filmant l’histoire d’amour parisienne a priori naïve entre une jeune Iranienne exilée et un Yamakazi bagagiste sur ressort, David Dusa pourrait perdre les spectateurs hostiles aux comédies romantiques sur fond de carte postale, alors qu’il creuse au contraire la nature des images de la révolution iranienne. Elles contaminent le récit et interrogent cette notion du regard, notion centrale du film.
Dès leur première rencontre, Gecko accomplit ce geste d’interpeller le regard de Miss Dalloway en soulevant les lunettes de soleil qui lui dissimulent les yeux. La relation entre les deux va consister pour elle à apprendre à ce jeune homme – seul et fermé au monde – à voir au-delà de la bulle qu’il s’est construite comme une carapace étanche au vacarme de l’extérieur. En contrepartie, Gecko va éveiller Miss Dalloway à un vent de liberté qui n’existait qu’en rêve pour elle. Lui est physique et aérien, elle est cérébrale et cultivée.
Leur histoire est celle d’un couple à l’époque du web 2.0, où l’on ne dit plus «c’est ici que je t’ai rencontrée pour la première fois», mais «c’est là que j’ai tchatté pour la première fois avec toi sur Facebook». L’internet dicte au film sa forme et sa narration. Les tweets apparaissent à l’image au fur et à mesure qu’ils sont composés sur les claviers des téléphones portables et on circule des embouteillages du périphérique parisien à la révolution iranienne en deux clics sur wikipedia et sur Google image. Les vidéos Youtube des manifestations iraniennes contaminent le récit et construisent des raccourcis qui nous rendent ces événements si lointains étonnamment familiers et d’une grande proximité.
C’est ce qui intéresse avant tout David Dusa. Il pose sur ces images un vrai regard de cinéaste et interroge leur nature fondamentale. Que montrer ? Quelle responsabilité de metteur en scène à donner à voir l’agonie insoutenable et d’une violence inouïe d’une femme qui se meurt sur un trottoir de Téhéran ? Quel lien avec nous en tant que témoins passifs de ces événements ? Quel sens leur donner dans ce flux ininterrompu de pixels ? L’histoire de Gecko et Miss Dalloway n’est alors plus qu’un véhicule pour nous impliquer dans cette réflexion à laquelle veut nous conduire le réalisateur, une surface où projeter les images du monde. C’est toute l’ambiguïté de ce film a priori naïf et superficiel, mais qui en fait aussi sa force et nous le rend aussi sympathique.
Note: