L’exercice critique peut s’avérer un défi lorsqu’on en vient à commenter les films de Hong Sang-soo. Le chroniqueur se retrouve vite face à l’écueil de la redite face à un cinéma fondé pour l’essentiel sur une répétition imperturbable des formes qu’à peine quelques variations assez subtiles ne viennent contrarier. Impossible d’affirmer que le plaisir ne soit pas renouvelé à chacun de ses métrages, ni qu’un rejet subit et massif de ses films ne nous saisisse tout à coup, non. In another country ne vient pas fondamentalement changer la donne, le spectateur est en territoire connu : une petite ville balnéaire de Corée du Sud, une plage, quelques personnages qui jouent un petit théâtre de la comédie humaine – faiblesses, tromperies, mensonges – avec beaucoup de légèreté et une nonchalance trompeuse. La caméra de Hong Sang-soo ne s’embarrasse guère de fioritures de mise en scène pour capter tout cela. On retrouve sa prédilection pour le zoom, qui lui permet soit d’isoler un personnage dans le cadre ou a contrario de le resituer dans son environnement, créer des effets de surprise ou des gags inattendus. On a toujours cette impression que la réalisation n’obéit qu’à une stricte économie de moyens : pas de champ/contre champ, les acteurs sont souvent deux dans le plan, sans raccords, dans la durée. Il résulte de ce procédé une impression de spontanéité et de simplicité qu’il ne faut pas confondre avec de la facilité, mais au contraire considérer comme un formidable indicateur de son inspiration (l’an dernier, pas moins de trois films du réalisateur sont sortis sur les écrans français).
Car dans cet univers désormais familier, Hong Sang-soo a introduit un corps étranger, en l’occurrence celui d’Isabelle Huppert, européenne qui agit comme le révélateur des tares de l’homme coréen. Avec cette idée du dépaysement de la «pièce rapportée», In Another country pourrait être considéré comme un film jumeau de Night and Day où à l’inverse, Hong Sang-soo filmait son congénère perdu dans les rues de Paris, dont les déambulations aléatoires dans la Capitale disaient la confusion des sentiments amoureux. Ici, Isabelle Huppert n’est pas non plus figée dans une figure unique, mais elle incarne tour à tour la séductrice, la femme adultère et l’épouse trompée. Trois histoires qui permettent de décliner d’infimes variations et de redistribuer à l’infini la fonction des seconds rôles – un réalisateur et sa femme enceinte, un maître nageur, des décors – faut-il suivre le fléchage au sol ou au contraire se perdre pour trouver le phare de la ville ? – et des accessoires – une tente, le parapluie, la bouteille de soju sur la plage -. Hong Sang-soo s’amuse même à décliner différents niveaux de réalité en imaginant les rêveries d’Isabelle Huppert qui rencontre son amant. Tout ceci est évidemment très ludique, circule avec beaucoup de fluidité, permet d’alterner les registres du marivaudage et de la comédie, le mode du burlesque et de l’humour cruel et ironique. Au final, le cinéma de Hong Sang-soo ressemble au passage obligé de la scène de la saoulerie qu’on retrouve dans tous ses films. Il procure une douce ivresse et un état euphorique assez inoffensif, mais bienvenu. Garanti sans gueule de bois !
In another country, en dvd le 20 février 2013 (Diaphana)
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