Comme promis, Richard D. James n’a pas fait avec Syro un simple coup marketing. Ceux qui n’en n’étaient pas encore convaincus malgré la grande qualité de l’œuvre peuvent se réjouir : après 13 années d’absence, Aphex Twin a beaucoup de choses à nous raconter. Si Syro n’avait pas fait l’unanimité, certains lui reprochant d’être l’opus le plus accessible du gourou de l’IDM (Intelligent Dance Music), à des années lumières d’un Druqks torturé, d’autres trouvant l’ensemble trop en marge du son actuel, sonnant même un peu trop rétro, le nouvel Ep du monsieur devrait à nouveau diviser. Computer Controlled Acoustic Instruments Pt2 (le retour des titres à rallonge !) sorti en ce début d’année 2015 se place d’avantage dans la veine expérimentale de Aphex Twin, comble pour l’artiste qui ne navigue pas non plus dans des terres balisées, celle des Polygone Window, Caustic Window, Analogue Bubblebath (divers pseudonymes de Richard D. James) et donc du fameux double album Drukqs. Syro offrait un retour en douceur réussi et au-dessus de la masse où son auteur nous plongeait dans un univers déjà connu, sans réelles surprise, sinon le pur plaisir d’écouter le talent inusable d’Aphex Twin une nouvelle fois avec des titres sinueux, labyrinthiques, voire épiques par moments. Son nouvel Ep, troisième aperçu du millier de composition que James se revendique d’avoir créé durant son absence (le deuxième aperçu était un groupe de titres, sortes de brouillons ou pièces inachevées, proposés sur Soundclound), aura au moins le mérite de nous faire écouter quelque chose d’inattendu de la part du maître.
Treize titres pour vingt-huit minutes, même pour un Ep, cela semble assez long mais ici aucun remplissage. L’objet prend la forme d’un bric-à-brac de morceaux à la durée hétérogène, entre pièce de plus de cinq minutes et titres atteignant difficilement les vingt secondes. Toutes ces petites œuvres, malgré leurs différences, apparaissent comme la variation d’un même thème, ou plutôt d’une même ambiance. Computer Controlled Acoustic Instruments Pt2 est d’une telle cohérence qu’il parait impossible de l’écouter autrement que d’une traite, à l’image d’un court métrage où se multiplient les saynètes. Le fait que les mots « disk », « hat » ou « prep », aussi obscur soit leur signification, soient répétés plusieurs fois dans les intitulés des diverses chansons de l’Ep renforce l’idée que chacune d’entre elles fonctionne comme les rouages indissociables d’une horloge parfaite. Une horloge particulièrement complexe toutefois, car le Grand Horloger aux commandes n’est pas le moins fou des hommes. Computer Controlled Acoustic Instruments Pt2 est à prendre au sens propre : un ordinateur contrôlant des instruments acoustiques. Jamais la musique de Richard D. James n’a semblé aussi réelle, palpable, physique. Ici, point ou presque de sonorités purement électroniques, Aphex semble découvrir pour la première fois qu’il y a des objets autour de lui et que la réalité n’est pas régie par des codes informatiques. Le court interlude Snar2 n’est rien d’autre qu’un simple roulement de caisse claire et pourtant, il devient littéralement singulier au sein de la discographie d’Aphex Twin. Tout l’Ep est parcouru par cet émerveillement devant le réel, et l’on ressent pleinement cette joie enchanteresse. La belle simplicité des notes de piano de piano un1 arpej réjouit, car elle agit comme si l’instrument prenait vie pour la première fois. Nul besoin de réécouter tous les albums de Aphex Twin pour capter ce sentiment, chaque morceau en est rempli et il nous inonde lorsqu’on les écoute un par un.
Mais encore une fois, il faut faire attention au titre et il nous dit aussi que toute cette sonorité acoustique aussi « neuve » et « enthousiasmante » qu’elle parait reste tout de même l’œuvre d’un ordinateur. Comme si, finalement, Richard D. James ne pouvait revenir au monde réel qu’avec l’intermédiaire de cet outil dont il a passé toute sa carrière à retourner tous les composants pour créer son propre univers. De ce fait, feinter l’authenticité avec de l’artificialité, naît une sorte de malaise que l’on retrouve tout le long de l’Ep. L’émerveillement laisse place à l’angoisse d’une « vraie musique » simulée. Comme si le groupe de musique qu’on adore tant se révélait être en fait composé d’automates, de parfaits androïdes jouant leurs partitions à la lettre alors que cet événement ne serait seulement conditionné que grâce à un programme pré-inscrit dans leurs circuits. Cette facticité se ressent au détour d’un roulement de tambour au son si réverbéré qu’il dévoile sa terrifiante vérité. C’est dans la clarté de chacun des sons, leur trop grande réalité, mais aussi le montage et l’agencement entre eux que se révèle la supercherie. Computer Controlled Acoustic Instruments Pt2 est donc tout autant un album beau et simple qu’une œuvre angoissante et horrible. Car en elle se trouve une sorte de prophétie funèbre, celle d’un monde déshumanisé, règne de la machine, où la musique ne serait plus composée que par des ordinateurs et donnée aux oreilles… d’autres ordinateurs. Derrière ce tout petit objet à l’apparence anecdotique se cache donc un ovni musical qui, comme tout bon Aphex Twin, bouge les limites et frontières de la musique électronique.
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